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Israël : Dieu est-il sioniste ?

 

Israël continue à être un sujet à contradiction, tant dans le monde politique que dans notre petit monde chrétien. C’est un peuple et un pays soumis à des exigences que l’on n’impose à aucun autre peuple ou pays. Il est très régulièrement l’objet des arrêts de l’ONU, et cela infiniment plus qu’aucune autre nation. La moindre action qu’elle entreprend vis-à-vis de ses voisins est scrutée, analysée, commentée et critiquée. Ailleurs, on peut tuer quasi impunément (ainsi, entre 1955 et 1972, le régime musulman de Khartoum a assassiné plus de 1,5 million de chrétiens. Entre 1983 et 2005, 2 millions de plus ont subi le même sort. Et au moins 100 000 enfants ont été emmenés au Nord pour devenir les esclaves des Musulmans, alors que 7 millions de Soudanais ont fui dans des camps de réfugiés), mais qu’Israël réagisse aux provocations de ses voisins et c’est une tempête médiatique qui se déclenche. Deux poids, deux mesures. Etonnant ? Ou pas tant que ça ?

Dans notre monde chrétien, Israël soulève aussi des contradictions. Une certaine théologie a cru pouvoir remplacer le peuple d’Israël par l’Eglise (laquelle … ?) et transvaser toutes les prophéties concernant l’avenir d’Israël à l’Eglise. Dans l’ensemble, le résultat a été un désintéressement presque total, tant d’Israël que de la prophétie biblique, voire une haine contre ce peuple. La Shoa a été un des fruits amers d’une telle théologie, mais l’histoire européenne a été fréquemment marquée par des horreurs semblables, fussent-elles à moindre échelle.

Le monde évangélique a toujours été connu pour son soutien à Israël, fondé sur la conviction que les prophéties bibliques réservent un destin futur à Israël dans le plan de Dieu. Le Dispensationalisme a eu un grand retentissement parmi les Evangéliques et a beaucoup contribué à l’intérêt et à l’amour pour le peuple de Dieu. Mais le rejet plus récent du Dispensationalisme et de certaines de ses conclusions extrêmes a conduit à une nouvelle approche de la prophétie et du rôle d’Israël. Le retour vers l’Amillénarisme ouvre parfois le flanc à l’antisionisme qui en a souvent été le corollaire et qui est un peu trop fréquemment un euphémisme pour le vieil antisémitisme toujours bien vivant dans le substrat européen. Il n’est peut-être pas inutile de citer le pasteur Martin Luther King à ce sujet : “Lorsque les gens critiquent les Sionistes, ils pensent aux Juifs, et on parle d’antisémitisme.”[1]

Le livre Israël – Palestine : quelle coexistence ? Un point de vue évangélique inédit, de la plume des pasteurs suisses Guy Gentizon et Jean-Jacques Meylan (Dossiers VIVRE 31, Editions Je Sème, Genève 2010) relève de cette nouvelle approche. Les auteurs présentent en quatre chapitres un autre point de vue d’Israël. Il provient de leur acceptation pratiquement sans critique des conclusions des “nouveaux historiens” israéliens. Ils donnent beaucoup d’extraits d’un certain nombre de livres inconnus dans notre monde évangélique, notamment des auteurs suivants : Charles Enderlin, Ilan Greilsammer, Benny Morris, Ilan Pappé et Shlomo Sand. Un dernier chapitre rapporte les idées du rabbin Yakov M. Rabkin qui ne fait pas partie des “nouveaux historiens”.[2]

Nous devons être reconnaissants aux auteurs de nous faire découvrir cette école d’histoire moderne. Nous sommes amoureux de la vérité et nous voulons que nos convictions profondes reflètent la vérité. Il est donc utile d’être contredit afin de vérifier l’exactitude d’opinions en partie fondées sur la Bible, et en partie sur l’histoire ou notre compréhension de l’histoire.

Voici donc une discussion de ce livre. N’ayant pas pu lire les livres cités, je me limiterai nécessairement à ce qu’en citent les auteurs. J’y ajouterai les fruits de ma recherche sur internet concernant les auteurs cités. Les renvois au livre sont mis entre parenthèses.

Les quatre chapitres du livre sont les suivants : 1. Israël-Palestine : un parcours historique pour essayer de comprendre… et d’aimer. 2. Israël entre histoire, Bible et théologie. 3. Origines et identité du peuple juif. 4. Christianisme, judaïsme et Israël. Seul le chapitre deux est de la main de Guy Gentizon. Je commencerai mon analyse avec le chapitre trois.

1. Qui est Juif ?

La question est capitale, et la réponse que propose Jean-Jacques Meylan est affolante. En lieu et place de la vieille doctrine de la substitution d’Israël par l’Eglise, il propose la réponse proprement incroyable de Shlomo Sand : ce sont les Palestiniens actuels qui sont la vraie continuation du peuple Juif du premier siècle. On mesure la distance parcourue !

Dès le début de ce chapitre trois du livre, Jean-Jacques Meylan fait preuve d’une approche biblique très moderne. Ce qui est vrai est déterminé par des sources extérieures à la Bible : l’Exode au XIIIe siècle (en dépit de 1Rois 6.1), des stèles du VIIIe siècle attestent l’existence d’une dynastie royale davidique. Israël n’entre dans l’histoire “au sens académique du terme” que quand des documents extérieurs à l’Ancien Testament l’attestent. La constitution du Pentateuque daterait seulement du temps de Josias. Tout cela témoigne davantage d’une approche libérale qu’évangélique.

La clé de l’argumentation de Sand, cité par Jean-Jacques Meylan sans aucun soupçon de critique, est que les Romains n’ont jamais expulsé les Juifs de la Judée, ni en 70 AD, ni plus tard, en 135 lors de la révolte de Bar Kochba.[3] Les Juifs ashkénazes (ceux d’Europe du nord, parlant le Yiddish) seraient en fait des descendants des Khazars de la région du Volga, convertis au Judaïsme au IXe siècle de notre ère. Les Juifs sépharades (en Afrique du nord) seraient les descendants de Berbères convertis au Judaïsme au VIIIe siècle de notre ère. De cela, il résulterait que le mot Juif n’a plus aucune connotation ethnique : “Il n’y a pas de continuité ethnique, raciale ou nationale entre les Bnei Israël [les fils d’Israël] et les Juifs du XXIe siècle. … Ce constat met tout simplement en échec la prétention pour un peuple de retrouver « sa terre ».” (141)

Dans un article du Monde diplomatique, au titre provocateur Déconstruction d’une histoire mythique, Comment fut inventé le peuple juif,[4] chacun peut lire les thèses de Shlomo Sand, historien du XXe siècle. En voici un court extrait :

La Bible peut-elle être considérée comme un livre d’histoire ? Les premiers historiens juifs modernes, comme Isaak Markus Jost ou Leopold Zunz, dans la première moitié du XIXe siècle, ne la percevaient pas ainsi : à leurs yeux, l’Ancien Testament se présentait comme un livre de théologie constitutif des communautés religieuses juives après la destruction du premier temple. Il a fallu attendre la seconde moitié du même siècle pour trouver des historiens, en premier lieu Heinrich Graetz, porteurs d’une vision « nationale » de la Bible : ils ont transformé le départ d’Abraham pour Canaan, la sortie d’Egypte ou encore le royaume unifié de David et Salomon en récits d’un passé authentiquement national. Les historiens sionistes n’ont cessé, depuis, de réitérer ces « vérités bibliques », devenues nourriture quotidienne de l’éducation nationale.

Mais voilà qu’au cours des années 1980 la terre tremble, ébranlant ces mythes fondateurs. Les découvertes de la « nouvelle archéologie » contredisent la possibilité d’un grand exode au XIIIe siècle avant notre ère. De même, Moïse n’a pas pu faire sortir les Hébreux d’Egypte et les conduire vers la « terre promise » pour la bonne raison qu’à l’époque celle-ci... était aux mains des Egyptiens. On ne trouve d’ailleurs aucune trace d’une révolte d’esclaves dans l’empire des pharaons, ni d’une conquête rapide du pays de Canaan par un élément étranger.

Il n’existe pas non plus de signe ou de souvenir du somptueux royaume de David et de Salomon. Les découvertes de la décennie écoulée montrent l’existence, à l’époque, de deux petits royaumes : Israël, le plus puissant, et Juda, la future Judée. Les habitants de cette dernière ne subirent pas non plus d’exil au VIe siècle avant notre ère : seules ses élites politiques et intellectuelles durent s’installer à Babylone. De cette rencontre décisive avec les cultes perses naîtra le monothéisme juif.

L’exil de l’an 70 de notre ère a-t-il, lui, effectivement eu lieu ? Paradoxalement, cet « événement fondateur » dans l’histoire des Juifs, d’où la diaspora tire son origine, n’a pas donné lieu au moindre ouvrage de recherche. Et pour une raison bien prosaïque : les Romains n’ont jamais exilé de peuple sur tout le flanc oriental de la Méditerranée. A l’exception des prisonniers réduits en esclavage, les habitants de Judée continuèrent de vivre sur leurs terres, même après la destruction du second temple.[5]

[…]

Ecrire une histoire juive nouvelle, par-delà le prisme sioniste, n’est donc pas chose aisée. La lumière qui s’y brise se transforme en couleurs ethnocentristes appuyées. Or les Juifs ont toujours formé des communautés religieuses constituées, le plus souvent par conversion, dans diverses régions du monde : elles ne représentent donc pas un « ethnos » porteur d’une même origine unique et qui se serait déplacé au fil d’une errance de vingt siècles.

Dans une interview publiée par Verbatim en mai 2008,[6] il dit entre autres :

« Le paradigme suprême de l’envoi en exil était nécessaire pour que se construise une mémoire à long terme, dans laquelle un peuple-race imaginaire et exilé est posé en continuité directe du « Peuple du Livre » qui l’a précédé », dit Sand; sous l’influence d’autres historiens qui se sont penchés, ces dernières années, sur la question de l’Exil, il déclare que l’exil du peuple juif est, à l’origine, un mythe chrétien, qui décrivait l’exil comme une punition divine frappant les Juifs pour le péché d’avoir repoussé le message chrétien. « Je me suis mis à chercher des livres étudiant l’envoi en exil—événement fondateur dans l’Histoire juive, presque comme le génocide; mais à mon grand étonnement, j’ai découvert qu’il n’y avait pas de littérature à ce sujet. La raison en est que personne n’a exilé un peuple de cette terre. Les Romains n’ont pas déporté de peuples et ils n’auraient pas pu le faire même s’ils l’avaient voulu. Ils n’avaient ni trains ni camions pour déporter des populations entières. Pareille logistique n’a pas existé avant le 20e siècle. C’est de là, en fait, qu’est parti tout le livre : de la compréhension que la société judéenne n’a été ni dispersée ni exilée. »

Les thèses de Sand ont été sérieusement contestées. Wikipedia s’en fait l’écho[7] : “D’autres historiens ou politologues s’opposent aux théories de Shlomo Sand : Simon Schama, Nicolas Weill, Mireille Hadas-Lebel ou Pierre-André Taguieff, entre autres. Ils lui reprochent principalement de méconnaître aussi bien l’histoire du peuple juif que l’historiographie contemporaine en Israël. Selon ces auteurs, l’ouvrage de Sand contiendrait de graves erreurs historiques, dues au fait que Sand n’est pas spécialiste des sujets qu’il y aborde. Pour Taguieff, par exemple, le livre de Shlomo Sand vise simplement à nier la réalité historique du peuple juif et, de ce fait, à tenter de justifier la disparition de l’Etat d’Israël.

Shlomo Sand, qui ne prétend pas être un spécialiste de l’histoire juive, considère plutôt s’appuyer sur des connaissances historiques oubliées ou ignorées du grand public.”

Wikipedia y ajoute cette remarque de Sand : “Dans une interview donnée au quotidien marocain, L’Economiste, il déclare aussi : « Il était plus logique de créer un Etat juif en Europe. Les Palestiniens n’étaient pas coupables de ce que les Européens ont fait. Si quelqu’un avait dû payer le prix de la tragédie, ça aurait dû être les Européens, et évidemment les Allemands ».”

Le professeur Eric Marty a écrit un article dans Le Monde du 28-03-09 contre les thèses de Sand.[8] Il y écrit notamment :

“Sand présente le fait qu’il n’y a pas de race juive comme une découverte qui fait du peuple juif une invention historique. Mais ce faisant, il confond deux catégories étrangères l’une à l’autre, celle de "race" et celle de "peuple". La tradition d’Israël n’est pas une tradition raciale comme la Bible l’atteste (l’épouse non juive de Moïse, Séphora, Ruth, l’étrangère, ancêtre du roi David), tradition perpétuée par l’actuel Israël, comme tout visiteur peut le constater en admirant dans le peuple juif son extraordinaire pluralité : juifs noirs, jaunes, blancs, orientaux, blonds, bruns... La substitution race/peuple est révélée par le titre : Comment le peuple juif fut inventé... Or tout le livre consiste à vouloir prouver que les juifs actuels ne sont pas "génétiquement" les descendants des Hébreux.

On dira que le peuple juif n’a jamais cessé d’être "inventé" : par Abraham, par Jacob, par Moïse... Mais aussi par chaque juif. Car l’invention même du peuple juif, loin d’être une preuve de son inexistence, est une preuve radicale – irréfutable – de la singularité radicale de son existence propre. Existence fondée sur le principe abrahamique de son invention ou de sa vocation, puisque cette existence est réponse à un appel.

[…]

… s’il dénie aux juifs une aspiration, qu’ils n’ont jamais eue comme peuple, à se constituer en race, il ne déconstruit pas la notion de race. Au contraire, il lui confère, à dessein ou non, un statut de vérité qui se donne comme vérité ultime. En effet, la conclusion, proprement perverse, de son livre est d’attribuer au peuple palestinien ce qui a été dénié aux juifs, à savoir qu’ils sont – eux, les Palestiniens – les vrais descendants génétiques des Hébreux originaires !

Cet épilogue est le révélateur de la finalité du livre. On y trouve le principe mythologique de l’inversion dont le peuple juif est la victime coutumière : les juifs deviennent des non-juifs et les Palestiniens les juifs génétiques. On peut, dès lors, en déduire qui est l’occupant légitime du pays. En ne déconstruisant pas radicalement la notion d’héritage génétique, en en faisant, au contraire, bénéficier le peuple palestinien, Sand révèle tout l’impensé qui obscurément pourrit ce qu’il tient pour être une entreprise libératrice. Il montre que la méthode substitutive qu’il emploie est tout simplement mystificatrice, et ce d’autant plus qu’elle voudrait être au service de l’entente entre les ennemis.”

Manifestement, les ennemis du peuple juif ne se méprennent jamais sur la question : Qui est Juif ? Eux ont un sixième sens pour détecter qui est Juif. Malheureusement, à Jean-Jacques Meylan, pasteur évangélique, ce sixième sens, qui aurait être aiguisé par cette lecture et cette compréhension biblique qui a toujours été propre aux Evangéliques, fait singulièrement défaut. Accepter sans aucune critique une telle destruction de la Bible est dramatique.

Peut-être plus qu’ailleurs dans le livre, nous voyons dans ce troisième chapitre comment nos auteurs pratiquent l’herméneutique : ils semblent avoir opté pour une approche critique de la Bible et une approche respectueuse des auteurs modernes. Il eut été préférable, et plus digne d’un croyant, de procéder en sens inverse.

Cela aurait peut-être aidé ce pasteur à lire correctement des textes prophétiques comme Osée 8.8 : Oui, Israël a été dévoré. Le voici, désormais, au milieu des nations, comme un objet indésirable. Ou Osée 9.3,17 : Ils n’habiteront plus dans le pays de l’Eternel. Ephraïm reprendra le chemin de l’Egypte et ils devront manger des aliments impurs en Assyrie. … Dieu les rejettera, car ils ne l’ont pas écouté, et ils seront errants au milieu des nations.

Que cet exil ne se limite pas au peuple des dix tribus du nord, mais aussi à Juda et au peuple tout entier au-delà du temps de Jésus est attesté par Ezéchiel qui en décrit le retour en ces termes : Voici ce que déclare le Seigneur, l’Eternel : Je vais prendre les Israélites du milieu des nations où ils sont allés, je les rassemblerai de tous les pays alentours, je les ramènerai dans leur pays, et je ferai d’eux une seule nation dans le pays, sur les montagnes d’Israël. Un roi unique régnera sur eux tous, ils ne formeront plus deux nations et ne seront plus divisés en deux royaumes. Ils ne se rendront plus impurs par le culte rendu à leurs idoles et à leurs divinités abominables, et par toutes leurs transgressions. Je les tirerai de tous leurs lieux d’habitation où ils ont péché, et je les purifierai; ils seront mon peuple et je serai leur Dieu. (Ez 37.21-23 Semeur)

Manifestement, le retour sous Zorobabel n’a pas accompli cette prophétie. Le prophète Zacharie qui a vécu ce retour écrit (10.8-10, NBS) : Je sifflerai pour les rassembler, car je les libère, et ils se multiplieront comme ils se multipliaient. Je les sèmerai parmi les peuples, et au loin ils se souviendront de moi; ils vivront, eux et leurs fils, et ils reviendront. Je les ramènerai d’Egypte et je les rassemblerai de l’Assyrie; je les ferai venir au Galaad et au Liban, et l’espace ne leur suffira pas. Notez bien, ce n’est pas le retour dont le prophète avait été lui-même le témoin, mais un autre retour qui doit donc avoir lieu après une autre dispersion, annoncée par les paroles : “Je les sèmerai parmi les peuples”. Ce texte ne peut donc pas être appliqué à l’Eglise née avant cette dispersion.

Plus loin, il voit Jérusalem assiégée et devenir une coupe d’étourdissement pour tous les peuples d’alentour, 12.2,3, une pierre lourde à soulever pour tous les peuples. Non seulement cela ne s’appliquait pas à son époque, mais cela ne s’est appliqué à aucune époque jusqu’aux temps modernes. Faut-il donc y voir une image de la persécution de l’Eglise, la nouvelle Jérusalem ? Ou faut-il savoir patienter et attendre que les futurs accomplissements se fassent de la même manière que les premiers accomplissements ? Qui peut vraiment nier que nous vivons enfin un retour généralisé du peuple Juif au pays de la Bible ? La résurrection nationale de ce peuple qui paraissait totalement impossible il y a seulement une génération s’accomplit devant nos yeux. Nous vivons à l’époque où cette ville, insignifiante il y a encore très peu de temps, est en train de devenir “la lourde pierre” de tous les peuples.

Il faut résister à la tentation de tout spiritualiser et ainsi de voler Israël de l’héritage promis. Le fait que le peuple soit sous le jugement de Dieu ne change rien à sa place dans son plan. Dale Ralph Davis écrit ceci concernant David dans son commentaire sur 2 Samuel 16[9] : “David est en même temps sous l’élection de Yahweh et sous le jugement de Yahweh. Cependant, il demeure le serviteur établi par Yahweh. Le mépriser, s’opposer à lui et le trahir revient à mépriser, s’opposer à et trahir le Dieu qui l’a établi.” Ces paroles ne sont-elles pas tout autant à appliquer au peuple d’Israël dans sa totalité ?

Qui est Juif ?

Le Nouveau Testament dépossède-t-il les Juifs de leur identité et donc de leur héritage ? Ce ne semble justement pas ce que fait Paul en Romains 11. Jean-Jacques Meylan s’y réfère courtement après la citation de textes comme Rom 2.28,29 : Le Juif, ce n’est pas celui qui en a les apparences; et la circoncision, ce n’est pas celle qui est apparente dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement; et la circoncision, c’est celle du cœur, selon l’esprit et non selon la lettre. La louange de ce Juif ne vient pas des hommes, mais de Dieu. Paul est-il en train de redéfinir les limites du peuple juif ? Opère-t-il une redéfinition ethnique ? Il n’en est rien. Il ne fait que rappeler qu’un Juif qui ne marche pas dans la foi d’Abraham est une contradiction ambulante. Sa Judéité ne le sert de rien. Paul prie donc pour leur conversion, Rom 10.1 et annonce le revers dans leur destin en 11.25-27 lorsque le Messie reviendra. Or, en prenant à la lettre ce qu’écrit Jean-Jacques Meylan dans ce chapitre, il faudrait appliquer tout cela à d’autres. Peut-être aux Palestiniens. Peut-être à l’Eglise. Tout ce qu’il fait est se référer au livre du père François Refoulé, Et ainsi tout Israël sera sauvé (Lectio divina 117, Paris, Cerf, 1984), pour qui “tout Israël” correspond au “reste” de Rom 9.27. C’est un peu maigre.

Avant de quitter ce chapitre fondamental, il n’est peut-être pas inutile de soulever cette autre question identitaire, non soulevée par Jean-Jacques Meylan : Qui se cache derrière le peuple palestinien ? Le peuple juif comme il le suggère en suivant Sand ? La Samarie était habitée par les Samaritains au temps de la destruction de Jérusalem. Parmi eux, un nombre important avait reçu Jésus le Messie comme Seigneur et Sauveur. Ils sont certainement restés dans le pays lors des grands soulèvements de 70 et de 135. Leurs descendants y habitent encore en toute probabilité, même s’il est raisonnable de penser que des Arabes sont aussi venus habiter dans ce qui va devenir la Palestine.[10] Curieux nom d’ailleurs. Il rappelle les habitants originaux de la bande de Gaza, les Philistins. Eux aussi sont probablement restés en place au-delà de l’islamisation du pays. Leur haine actuelle traduit étonnamment bien la haine ancestrale de ce peuple au temps de l’Ancien Testament. Quant aux racines ethniques du peuple arabe, il faudra non seulement parler d’Ismaël et de Madian, fils d’Abraham, mais aussi d’Amalek, Gen 14.7 et Ex 17.8-16.[11] Qu’Amalek ait survécu à la guerre avec Saül en 1 Sam 15 est démontré par Haman, l’Agaguite en Est 3.1. Est-il possible que dans le peuple arabe il y a tantôt en trait dominant l’héritage d’Ismaël, et tantôt celui d’Amalek ? A cela, il faudra sans doute ajouter des origines ammonites, moabites et édomites. Autrement dit, quand on veut entreprendre un travail historique sur la survivance d’anciens peuples, il eut été honnête de ne pas se focaliser sur le seul peuple Juif.

Il n’y a pas de peuple racialement pur. Israël ne l’est pas, et la Bible ne le prétend pas. Les Palestiniens ne le sont pas, les Arabes ne le sont pas. Et nous ne le sommes pas. Mais là n’est pas la question.

 

2. Interpréter la prophétie

Guy Gentizon entre dans le détail de la question de l’interprétation des prophéties. On comprend aisément l’importance des enjeux. Faut-il favoriser une école d’interprétation ? Sans trancher de manière franche, l’auteur s’en prend assez clairement à l’approche dispensationaliste.[12] Dans le choix entre une interprétation symbolisante, allégorique, d’une part, et littérale-historicisante d’autre part, il est suffisamment clair que l’auteur préfère la première.[13]

Dans l’ensemble, son traitement de l’Apocalypse consiste en une répétition de généralités sans vraie réflexion. Ainsi, affirmer que la plupart des nombres de ce livre ont une valeur symbolique est totalement gratuit. Appliquer cela particulièrement aux mentions de durée est ruineux. Suggérer que Jean s’est inspiré de Joel 2 pour écrire Apocalypse 9 est sans doute très populaire, mais se trouve contredit par Jean lui-même. Ce n’est pas ainsi qu’il a écrit son livre ! Proposer que “Harmaguédon est le symbole de toutes les batailles où le Seigneur intervient avec puissance pour mettre en déroute les ennemis et secourir son peuple au cours des siècles” (92) est une jolie application (enseignée ailleurs avec bien plus de clarté !), mais ne peut guère satisfaire comme exégèse sérieuse. Ce genre d’approche de l’Apocalypse réduit le livre à quelques leçons spirituelles très gentilles, et sans doute vraies !, mais donne raison à la majorité des Chrétiens qui n’y comprennent plus rien et finissent par fermer le dernier livre de la Bible.

Est-ce qu’Israël peut prétendre à retrouver son pays, sa terre d’origine ? Guy Gentizon cite en note l’opinion d’Emile Shoufani, prêtre melkite et arabe israélien : “L’idée d’une Terre sainte entendue comme un territoire défini va à l’encontre de l’absolu divin” (101) et rappelle l’opinion de la plupart des rabbins avant la création de l’état d’Israël, opposés à un état qui ne serait pas l’œuvre direct du Messie.[14] La ville de Jérusalem dans la prophétie, est-elle réellement la ville actuelle ? On sent bien que l’auteur préfère penser à la Jérusalem d’en haut. Y a-t-il vraiment place pour un nouveau temple ? Ce temple, n’est-il pas le Christ, ou le cœur du croyant ? Ainsi, sans vraie étude de textes, l’auteur sous-entend que l’accomplissement des prophéties se limite essentiellement à la venue du Christ et la création de l’Eglise. Une fois de plus, et sans le dire en toutes lettres, il montre son acception de l’amillénarisme comme grille d’interprétation, même s’il semble se mettre au-dessus de la mêlée lorsqu’il présente les différents courants d’interprétation ou lorsqu’il résume les points de vue sur Romains 11.

En sous-entendu, on sent parfois pointer la critique que certains Evangéliques sont inconséquents dans leur interprétation, puisqu’ils ne prennent jamais tout au pied de la lettre. Il cite la chaîne d’Apocalypse 20.1 qui n’est pas à prendre au sens littéral. Mais ce genre de soupçons n’est guère limité à un groupe de lecteurs. Ainsi, l’auteur maintient que les limites de la terre promise ont été atteintes lors du règne de David et de Salomon, et qu’on ne doit donc pas les prendre au sens littéral pour aujourd’hui. Mais que faire de Ps 89.26 ? Faut-il limiter ce texte aux seuls David et Salomon, quand le contexte insiste justement sur le caractère éternel de ces choses, 89.30 ? Personne ne peut systématiquement manier une interprétation symbolique ou littérale. Et il n’est vraiment pas possible d’évacuer le sens littéral de certains textes comme Zacharie 14.2-4, qui implique manifestement un rôle futur pour la Jérusalem terrestre. Même la construction d’un temple, comme en Ezéchiel 40-48 ne peut pas être traitée de manière symbolique sans plus. Cela est davantage l’effet d’une théologie préconçue que d’une exégèse prudente du texte ![15]

En fait, ce chapitre sur l’interprétation des prophéties est assez décevant par sa manière de ne se prononcer réellement sur aucune question tout en semant le doute sur les opinions jusqu’il y a peu assez répandues dans le monde évangélique. Jean-Jacques Meylan poussera les choses un peu plus loin avec sa critique beaucoup plus franche du dispensationalisme (147-153).

C’est plus qu’intéressant de considérer la place de ce chapitre dans l’ensemble du livre. Peut-on dire que les opinions incroyables du chapitre trois deviennent possibles justement parce qu’il y a une interprétation défaillante de l’essentiel des prophéties qui concernent la fin de l’âge et que les auteurs se partagent ? Quand on considère où mène la faiblesse de l’approche—pas de choix clair, mais doute entretenu sur toute lecture “littérale”, ou, peut-être plus justement, un choix d’interprétation symbolique sous-entendue mais atténuée dans les conclusions—on devrait pour le moins devenir très critique devant l’attraction moderne pour les thèses de l’amillénarisme comme si tout théologien qui se respecte devrait chercher dans cette direction. Il est troublant que ses conclusions qui semblent si équilibrées ne l’aient pas amené au discernement des opinions proférées par son collègue dans le chapitre suivant.

Est-il possible que, sans doute comme beaucoup d’autres, il ait été obnubilé par son opposition aux idées dispensationalistes (les siennes avant ? ou celles des autres et très dominantes à une certaine époque), mais qu’il n’ait pas pris assez de recul pour voir que ce qu’il mettait à la place était encore pire ? Y a-t-il une sorte de complexe d’Œdipe évangélique qui vise à tuer le père pour tomber dans les bras de la mère ?[16] On peut se le demander.

 

3. Sionisme contre messianisme ?

Dans le dernier chapitre, Jean-Jacques Meylan laisse la parole à Yakov M. Rabkin, un rabbin du Canada opposé au Sionisme. Pour lui, le Sionisme est une négation des valeurs centrales du Judaïsme.[17] On s’imagine sans peine la popularité de ses vues dans le monde arabe !

Rabkin cite par exemple le rabbin Sonnenfeld : “… Dieu nous a exilés à cause de nos péchés, et l’exil sert d’hôpital au peuple juif. Il n’est pas concevable que nous prenions le contrôle de notre terre avant d’être complètement guéris. Dieu nous garde et nous protège, et II nous administre des épreuves ‘médicamentées’, parfaitement dosées et mesurées. Nous sommes sûrs qu’une fois la guérison de nos péchés complétée, Dieu ne tardera pas un moment, et nous délivrera lui-même. Comment nous hâterions-nous de sortir de l’hôpital face à un danger de mort, un danger mondial qui planerait sur nous tous, à Dieu ne plaise !” (159,160, cité par Meylan)

Jean-Jacques Meylan continue (160) : “Les principaux griefs des haredim contre le sionisme sont les suivants : dans le sionisme, l’homme a usurpé une prérogative messianique. Le concept de «Terre d’Israël» ne se trouve pas dans le Pentateuque qui se réfère à la «Terre de Canaan» ou «Terre des Hébreux».[18] L’identité du peuple juif n’est pas liée à un territoire. L’espoir messianique doit rester intact, libre de tout compromis jusqu’à l’arrivée du Messie. Le retour à la terre d’Israël, réalisé par des moyens politiques et militaires, ne correspond pas au projet de salut propre à la tradition juive. C’est le Messie lui-même qui doit réaliser les conditions de ce retour”.

Le retour au pays d’Israël sera réalisé “par l’effet universel de bonnes œuvres plutôt que celui de la force militaire ou de la diplomatie”, cite encore Watzal.

On peut avoir de la sympathie pour ces vues, résumées ici à l’extrême, où on détecte une foi juive profonde. Après tout, nous aussi, nous attendons le Messie qui remettra tout en ordre. En même temps, on reste un peu sur sa fin. “Le bourreau—qu’il soit le Pharaon, Amalek ou Hitler—ne peut être autre chose qu’un agent de la punition divine, un moyen sans doute cruel pour amener les Juifs à la repentance.” (Rabkin in Watzal) Si, comme il est dit, cette repentance aura pour résultat la venue du Messie, qu’est-ce qui arrête le peuple de se repentir ? On est parfois lassé des discussions interminables autour de la Torah et du Talmud. N’y a-t-il pas des retours qui préparent la repentance ? Lorsque le peuple pouvait enfin revenir dans la terre promise sous Cyrus le Perse, pourquoi tant de Juifs sont-ils restés à Babylone ? Pourtant, ce retour politique était bien dans le plan de Dieu ! Y a-t-il une vertu dans la dispersion ? N’est-elle pas un jugement qui prendra fin à l’heure de Dieu ? Et qui peut vraiment affirmer que ce n’est pas ce qui s’observe dans le retour actuel ? Mais sera-t-il réalisé par les bonnes œuvres ? Etonnamment, Jean-Jacques Meylan prend une idée semblable à son compte un peu plus loin, page 163 : “Le seul sens, le sens ultime de l’élection d’Israël, est d’inverser la dynamique du péché par la promotion de la paix pour l’ensemble du Moyen-Orient.”

L’état d’Israël est un état laïc. Notre amitié pour Israël ne peut cacher le caractère profondément séculier de cet état. Nous sommes des amis, mais des amis attristés quand nous apprenons que le taux d’avortement n’est pas différent en Israël que dans le reste du monde occidental. Nous sommes perplexes qu’un état comme Israël puisse permettre l’organisation d’une gay-pride à Jérusalem. N’ont-ils donc rien appris ? Faut-il que le jugement redescende sur ce peuple qui a déjà tant souffert ? La réponse biblique me semble devoir être oui. Le prophète Daniel semble bien annoncer dans sa vision énigmatique des 70 semaines qu’un ennemi à venir fera alliance avec le peuple revenu dans sa terre, dans sa ville sainte, avant de se tourner contre lui, ce que confirme Zacharie 14.

Le fait que ce retour politique, apparemment sans Dieu, risque de déclencher “une catastrophe de proportions mondiales” (Rabkin in Watzal) ne veut pas dire que ce retour est donc illégitime. Il semble bien que Dieu ramène le peuple par une main puissante, même si elle est cachée dans le gant du Sionisme politique. Dieu ramène l’histoire à Sion. D’ailleurs, comment Jérusalem peut-elle devenir cette pierre lourde pour tous les peuples s’il n’y a pas ce retour ? Pendant des siècles, elle a été un coin perdu du monde, délaissé par tous, y compris par le monde musulman (ce que nos auteurs oublient de mentionner). Or, voici que la prophétie s’accomplit devant nos yeux. Voir cela, reconnaître cela ne veut pas dire que ce peuple agit donc selon Dieu. Le cœur du roi, y compris le gouvernement israélien, “est comme un cours d’eau entre les mains de l’Eternel : il le dirige à son gré.” (Proverbes 21.1)

Nous ne sommes pas amis d’Israël à cause de ce que fait Israël. Nous sommes ses amis à cause de ce que Dieu fait. Nous sommes amis parce que “c’est à eux qu’appartiennent la condition de fils adoptifs de Dieu, la manifestation glorieuse de la présence divine, les alliances, le don de la Loi, le culte et les promesses; à eux les patriarches ! Et c’est d’eux qu’est issu le Christ dans son humanité; il est aussi au-dessus de tout, Dieu béni pour toujours. Amen !” (Romains 9.4-5) Nous sommes amis d’Israël, même de cet Israël ignorant, coupablement ignorant de Dieu, “à cause des pères”, Romains 11.28.

Il ne nous est pas possible de nous inscrire dans le dessein, plus humaniste qu’autre chose, de Jean-Jacques Meylan quand il veut faire d’Israël un signe de réconciliation.

“Ainsi, Israël reste un signe, non pas par ses conquêtes militaires et son emprise politique sur un territoire, mais par sa capacité à signifier le message divin; un signe qui interpelle les hommes et les nations sur la question cruciale de la coexistence et de la justice. Un signe qui témoigne de ce qui est au centre de la théologie biblique de l’Ancien comme du Nouveau Testament : unifier, rassembler, réconcilier. Pour l’instant, le Proche-Orient vit exactement l’inverse. Il est sous le signe de la division, littéralement de la «diabolisation». Israël, comme signe d’unité et de réconciliation, n’est visible que dans les marges, auprès d’une minorité de personnes. C’est en espérance que nous attendons sa pleine manifestation.” (163)

“L’élection d’Israël sera ainsi porteuse de bénédiction pour l’ensemble de la région et, par là, pour le monde entier. Or une bénédiction est toujours l’expression d’un don, d’un geste de grâce, d’une générosité réciproque. Elle ne résulte jamais d’une appropriation économique ou militaire en vue d’une possession exclusive de la terre. Dieu a promis à Israël la grâce de sa présence et non pas l’appropriation violente de la terre. La vision biblique finale de l’histoire est une vision de fraternité universelle, comme le souligne le dernier livre de la Bible : «Et j’entendis, venant du trône, une voix forte qui disait : Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux» (Ap 21.3).

Certes l’histoire biblique d’Israël est marquée par des conflits et des guerres incessantes. Abraham a chassé Ismaël son aîné. Il a éloigné tous ses fils cadets pour qu’Isaac reste seul sur «la terre promise». Jacob et Esaü ont refusé de cohabiter sur le même territoire. La tribu de Juda a été souvent en guerre contre les autres tribus du Royaume du Nord… sans parler des guerres contre les ennemis extérieurs. Or Dieu est un Dieu de miséricorde, de paix, de réconciliation et de justice. Tel est son projet. Dans les temps particuliers que nous vivons, notre seul défi est de contribuer, autant que possible, à ce projet de réconciliation, là où tant d’hommes développent des gestes de fracture et d’exclusion.” (164)

On peut se demander quelle est la Bible de ce pasteur. C’est justement ce “Dieu de miséricorde” qui demande à Abraham de chasser son fils Ismaël ! Le centre du message biblique n’est pas ce qui est proposé ici : unifier, rassembler. La croix crée la division avant d’unifier. L’Evangile sépare avant de rassembler. Demander à Israël d’agir en Chrétien est une confusion totale des genres. Qui sommes-nous d’ailleurs à lui demander tout cela, nous, héritiers d’un passé fait de persécutions, de croisades et de pogroms ? On pourrait y ajouter la mémoire très sélective des banquiers de la Suisse très protestante de nos auteurs, qui ont depuis si longtemps ignoré les héritiers des biens juifs déposés dans leurs coffres. La critique des auteurs contre Israël n’est que la énième manifestation d’un mal qu’un ancien président de la Fédération Protestante de France avait bien défini quand il écrit : “... le mystère d’Israël est inséparable du mystère de l’Eglise, il est notre mystère. Le mystère de notre péché et le mystère de notre grâce. Objets de la même révélation, de la même vocation, appelés au même jugement, promis au même Royaume, nous ne serons pas sauvés, au dernier jour, les uns sans les autres... La question juive est la question des questions. A la manière dont ils parlent des Juifs, on peut juger sûrement de la valeur spirituelle d’un homme, d’une Eglise, d’un peuple, d’une civilisation. L’antisémitisme est, pour l’Eglise, la plus grave méconnaissance du Christ, le plus secret refus de la foi, la plus insidieuse perversion de l’Evangile de l’Incarnation.” (Charles Westphal, tiré des Cahiers d’études juives) Sous un autre ciel politique, Dietrich Bonhœffer le résumait ainsi : “Celui qui ne crie pas en faveur des Juifs ne peut louer Dieu”.

Qu’on le veuille ou non, l’histoire d’Israël, et celle du Royaume de Dieu, est une histoire violente. L’Ancien Testament est caractérisé par cela. L’Apocalypse le décrit, bien longtemps avant d’en venir à la vision pastorale de 21.3 cité plus haut. Israël n’est pas l’Eglise de la Nouvelle alliance. Et l’opposition de l’ennemi au plan de Dieu ne sera pas résolue par le projet que Jean-Jacques Meylan met dans la bouche de Dieu et qui se résumerait au suicide d’Israël pendant que nos pasteurs tissent des couronnes de pâquerettes. Dieu n’est pas là pour “promouvoir une utopie”, mais il conduira le temps et les nations au retour victorieux de son Fils qui vaincra ses ennemis.

Presque tout est dit … sauf que je n’ai encore rien dit du chapitre le plus long du livre !

 

4. Le Sionisme contre Dieu ?

Ce long chapitre est un reflet des “nouveaux historiens”[19] de l’histoire du Sionisme récent. Il n’est peut-être pas inutile de préciser un certain nombre de choses avant d’aller plus loin.

Benny Morris, l’historien le plus cité, a fait partiellement volte-face depuis. Sylvain Cypel écrit dans Le Monde du 29 mai 2002[20] : “Rejette-t-il aujourd’hui ses anciens écrits ? « Non : une moitié des Palestiniens ont bien été expulsés. Mais il n’y avait pas de plan préconçu. Ce fut le résultat d’une guerre qu’ils ont eux-mêmes déclenchée. Eux et les pays arabes sont donc les vrais responsables. … »”

Charles Enderlin est le correspondant de France2 en Israël qui a soulevé l’affaire de l’enfant Mohamed Al-Durah dont il attribuait le meurtre aux Israéliens. Un examen approfondi a prouvé ces propos erronés. L’affaire est devant les tribunaux en France.

Ilan Pappé était membre du parti communiste israélien en 2002. C’est un des plus virulents des critiques de l’état d’Israël et il a quitté le pays pour aller travailler en Angleterre. Il est en faveur du boycott d’Israël proposé par le monde universitaire britannique et croit qu’Israël a procédé à une épuration ethnique. Voici ce que dit de lui un ancien collègue[21] :

“Ancien collègue d’Ilan Pappé, Yoav Gelber est un de ses plus virulents critiques.
En ce qui concerne les liens qu’Ilan Pappé établit entre le « négationnisme de la Shoah » et le « négationnisme de la Nakba », Yoav Gelber voit en lui « le plus extrémiste de ceux qui établissent un lien entre le destin des Palestiniens et la Shoah. » Il justifie son point de vue notamment par le fait qu’Ilan Pappé fait abstraction du conflit judéo-arabe précédant 1948, de l’opposition arabe au sionisme par la violence, des massacres perpétrés sur les juifs non sionistes d’Hébron et de Safed en 1929 et du fait que ce sont les Arabes palestiniens et la Ligue arabe qui ont déclenché la guerre de 1948. Il lui reproche également sa thèse sur le fait qu’« une épuration ethnique » aurait été planifiée par les Juifs et par l’affirmation selon laquelle tant les Palestiniens que les Juifs sont des victimes de la Shoah d’Europe basée sur une comparaison déséquilibrée entre les crimes nazis et les « quelques atrocités perpétrées par les deux côtés au cours de combats réciproques ». Il conclut en affirmant que « [c]e faisant [Pappé] est très proche du négationnisme de la Shoah. »”

Un autre nouvel historien, Ilan Greilsammer, écrit ceci de Pappé[22] : “Des personnalités antisionistes comme Michel Warchawski ou Ilan Pappé n’ont strictement aucune audience en Israël, même pas chez les Palestiniens, qui savent parfaitement ce qu’ils représentent dans la réalité israélienne.”

Les “nouveaux historiens” donnent de l’histoire récente d’Israël une image très différente de ce que l’état d’Israël a toujours raconté. Il est bien sûr assez difficile de voir où est la vérité. Mais le récit officiel souffre sans doute de pas mal de lacunes et d’épisodes qu’on préfère ne pas raconter. Nous l’avons déjà dit, l’état d’Israël, dès ses débuts, est un état laïc. Des horreurs ont été commises, des vérités ont été tordues ou inventées et les guerres ont été sales, comme toutes les guerres. Mais la description qu’en fait Jean-Jacques Meylan souffre d’une cécité partielle au moins aussi grave. Sur le blog de la Fédération romande d’Eglises Evangéliques,[23] dans laquelle Jean-Jacques Meylan et Guy Gentizon sont pasteurs, un long article a été posté d’un certain PN que je viens de découvrir en commençant ce dernier chapitre de mon article. Il est extrêmement bien fait et il entre dans plusieurs détails de déséquilibre flagrant dans le récit de Jean-Jacques Meylan. Je n’y reviendrai donc pas ici.

La contestation du droit international d’Israël a été analysée, entre autres, par Michel Gurfinkiel dans l’article repris dans la note suivante.[24] Il arrive à la conclusion que l’établissement et l’extension d’Israël correspondent au droit international.
 

Il est regrettable que nos deux pasteurs aient manqué complètement de discernement pour lire leurs sources avec un œil critique. Leur manière de prendre à leur compte les affirmations les plus extrêmes ne donne pas une grande crédibilité à leur texte. Leur désir d’être à côté des Chrétiens Juifs et Palestiniens est admirable. Leur incapacité de voir la persécution de ces derniers par leur propre peuple est dommageable. L’amour et la vérité ne doivent-elles pas se rencontrer (Ps 85.11; 89.15) ?

Le Sionisme agit-il contre Dieu ? Faut-il donc le condamner dans les termes sévères qu’utilisent les auteurs ? Il sera évident que Dieu n’est pas Juif. Il n’est pas Arabe. Il n’est pas Palestinien. Il n’est même pas Chrétien. Dieu est Dieu. Même nos meilleurs efforts sont entachés de notre imperfection, et souvent de notre péché. Israël est certainement très loin d’être un instrument pur entre les mains de Dieu. Et tout mal perpétré contre les hommes par des hommes viendra en jugement, à l’exception de ce qui a été confessé comme tel, pardonné au nom de Jésus et réparé dans la mesure du possible, que ce mal ait été commis par des Israéliens, des Palestiniens ou qui que ce soit d’autre.

Mais Dieu est Sioniste. Il reste fidèle à son alliance conclue avec Abraham, Isaac et Jacob et il veille sur sa parole. Le peuple d’Israël joue un rôle clé dans ce plan, ce qui lui a valu une histoire douloureuse jusqu’à aujourd’hui. Cette histoire est celle des hommes. Mais elle est aussi l’histoire dans laquelle Dieu se manifeste et agit pour tout résumer en Christ. Il reviendra à Sion et la rétablira.

L’amour de nos pasteurs pour les Chrétiens palestiniens est juste. Travailler en tant que Chrétien pour plus de justice est excellent. Mais l’œuvre de Dieu se fait selon ses méthodes. S’allier à des ennemis d’Israël (de Dieu ?) n’en fait pas partie. Proposer un angélisme humaniste pour établir la paix et la justice revient à se méprendre foncièrement sur la réalité de la révolte contre Dieu et son Messie. Nous n’allons pas vers plus de paix et d’entente, mais vers plus de haine et de guerre jusqu’à ce que revienne le Seigneur. L’Eglise sera un des objets de prédilection de cette haine. Mais Israël aura aussi et encore sa part de souffrance dans ce conflit des âges.

Sa repentance n’a pas été provoquée par le retour vers Sion. Bien au contraire. Elle ne viendra pas non plus par l’hypothétique développement d’un Etat multicommunautaire.[25] Elle n’est ni suscitée par l’amour de certains Chrétiens, ni par le négationnisme d’autres. Elle ne sera l’œuvre ni des rabbins, ni de l’ONU. Elle sera le résultat du retour du Messie, comme l’annoncent les prophètes.

Alors, tout Israël sera sauvé.

Alors, Sion brillera de la justice et de la gloire de Dieu.

Alors, Israël aura enfin atteint son destin.

Alors, une vraie coexistence entre les peuples ennemis se dessinera.

Alors, “il adviendra que la montagne sur laquelle est le Temple de l’Eternel sera fermement établie au-dessus des montagnes, elle s’élèvera par-dessus toutes les hauteurs, et toutes les nations y afflueront. Oui, des peuples nombreux viendront et se diront les uns aux autres : Venez, montons au mont de l’Eternel, au Temple du Dieu de Jacob. Il nous enseignera les voies qu’il a prescrites, nous suivrons ses sentiers. Car de Sion viendra la Loi, et de Jérusalem la Parole de l’Eternel.”

Alors, “il sera l’arbitre des peuples. Oui, il sera le juge de nombreuses nations.”

Alors, “martelant leurs épées, ils forgeront des socs pour leurs charrues, et, de leurs lances, ils feront des faucilles. Plus aucune nation ne brandira l’épée contre une autre nation, et l’on n’apprendra plus la guerre.”

Alors, on entendra : “Descendants de Jacob, venez donc et marchons à la lumière de l’Eternel.” (Esaïe 2.2-5)

Egbert Egberts
Août 2010



[1]During an appearance at Harvard University shortly before his death, a student stood up and asked King to address himself to the issue of Zionism. The question was clearly hostile. King responded, ‘When people criticize Zionists they mean Jews, you are talking anti-Semitism.’” (http://www.jewish-history.com/mlk_zionism.html). Cette citation est avérée, contrairement à la dite Lettre à un ami sioniste.

[2] Voici les titres des livres en question : Charles Enderlin, Les années perdues, Paris: Fayard, 2006; Ilan Greilsammer, La nouvelle histoire d'Israël, Paris: Gallimard, 1998; Benny Morris, Victimes, Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Bruxelles: Complexe, 1999; Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Paris: Fayard, 2006; Ilan Pappé, Une terre pour deux peuples, Paris: Fayard, 2004; Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Paris: Fayard, 2008; Yakov M. Rabkin, Au nom de la Torah, Qq: Presses Univ. Laval, 2005-3.

[3] Etonnamment, Guy Gentizon semble bien accepter cette dispersion (85). Indication de désaccord entre les auteurs ?

[4] http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205. Tous les documents internet cités dans cet article ont été consultés en début juillet 2010.

[5] Cf. Marek Halter, La mémoire d’Abraham, Paris, Laffont, 1983, qui en donne une idée bien différente. Il retrace l’exil de sa propre famille depuis la destruction de Jérusalem en 70 AD.

[7] http://fr.wikipedia.org/wiki/Shlomo_Sand. Wikipedia n’est pas nécessairement une source absolument sure. Mais nos deux pasteurs le citent souvent. Je me sens donc libre de faire de même.

[9] Dale Ralph Davis, 2 Samuel, Out of every adversity, Fearn, Ross-shire: Christian Focus Publications, 2002, p. 200.

[10] Cf. l’oubli choquant par nos auteurs du harcèlement des Chrétiens palestiniens par les autorités palestiniennes et gazaouites. Le résultat en a été un départ massif de cette population des terres palestiniennes (samaritaines ?).

[11] Maçoudi, auteur classique arabe, historien des Omeyades, raconte que leur origine est dans la région de La Mecque. Maçoudi, Les prairies d’or, II,31, accessible par  Google.

[12] cf. par exemple la note 9, page 96.

[13] Par exemple, il jette assez facilement le doute sur les thèses dispensationalistes, et jamais sur les affirmations amillénaristes parfois très fantaisistes. Je reviens là-dessus dans mon commentaire sur l’Apocalypse qui devrait sortir dans un avenir proche. Je précise que je ne suis pas dispensationaliste.

[14] Cf. le chapitre 4 du livre sur lequel nous reviendrons.

[15] J’aborde le rapport entre Ezéchiel 40-48 et Apocalypse 21,22 ailleurs, cf. la note 12.

[16] Dans un sens, dispensationalisme et amillénarisme sont les parents historiques de la pensée évangélique moderne dans le domaine de l’eschatologie. On sent un peu ce “meurtre du père” dans le livre d’Alfred Kuen, Le labyrinthe du Millénium, St-Légier, Emmaüs, 1997, où la critique vise toujours les uns, et pratiquement jamais les autres. Mais le choix n’est pas de s’aligner sur l’un ou l’autre. Sur les épaules des deux, nous voyons plus loin et ainsi il peut y avoir dépassement.

[17] On peut consulter un court résumé de son livre, en Anglais (je n’ai pas pu en trouver en Français), par Ludwig Watzal sur : http://www.watzal.com/YakovRabkin.pdf.

[18] Il se trouve en Ezéchiel 18.2 (EE).

[19] Voir les titres des livres en note 2.

[24] Les droits d’Israël sur Jérusalem-Est et la Cisjordanie (écrit le 30 août 2009)
A l’origine, il y a le Mandat de la Société des Nations (SDN). La Grande-Bretagne s’est emparée du Levant, jusque là possession turque, en 1917-1918. La SDN valide sa présence au Levant-Sud – la Palestine – en 1923. Moyennant, ainsi que le stipulent les articles II, IV, VI, VII, XI, XXII, XXIII, de cette décision, l’engagement d’y créer un Foyer national juif, et d’y assurer une immigration juive massive.
En 1947, l’Onu, qui a succédé à la SDN, partage la Palestine en trois : un Etat juif en trois enclaves reliées par des corridors, un Etat arabe et une zone internationale à Jérusalem. Les Juifs de Palestine acceptent. Si les Arabes avaient fait de même, le Moyen-Orient n’aurait pas connu onze guerres. Mais les droits dont les Juifs disposaient dans l’ensemble de la Palestine mandataire auraient été limités au seul Etat juif.
Les Arabes refusent. Or la nature d’un traité est d’être exécuté. S’il ne l’est pas, par suite du retrait ou de la défaillance de l’une des parties concernées, la situation juridique antérieure, statu quo ante, est reconduite. Par conséquent, comme le note dans un télégramme au Quai d’Orsay un diplomate français alors en poste à Jérusalem, les dispositions du Mandat de 1923, à commencer par le Foyer national juif, restent toujours en vigueur sur l’ensemble du territoire palestinien.
Le nouvel Etat juif, Israël, gagne la guerre. Là où il était désormais établi, le Mandat est juridiquement « accompli ». Dans les autres parties de la Palestine, les dispositions de 1923 sont mises en sommeil, mais nullement abolies. En 1967, la conquête israélienne leur rend leur actualité, ainsi que le notent des juristes de premier plan : l’Américain Eugene Rostow, ancien doyen de la faculté de droit de Yale, et ancien sous-secrétaire d’Etat sous l’administration Johnson, ou l’Australien Julius Stone, l’un des plus grands experts en droit international du XXe siècle. Israël n’est pas un « occupant », mais un souverain légitime. Il peut implanter des habitations juives dans les zones conquises. Il le doit. 
Les pays où le droit joue un rôle dans le débat politique, notamment les Etats-Unis, savent bien qu’il en est ainsi. C’est pourquoi le Congrès américain a pu voter en 1995, sous l’administration Clinton, une loi enjoignant l’installation de l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem. Le Département d’Etat a contré l’opération à travers une argumentation pragmatique, en faisant valoir que ce transfert était « politiquement inopportun ». Mais il s’est gardé, à l’époque, d’entrer dans un débat juridique, qu’il n’aurait pas gagné. (Extrait)  
http://www.israel-diaspora.info/kiosque.php.

[25] La suggestion de Jean-Jacques Meylan. Mais les Palestiniens qu’il cherche à défendre n’ont pu le créer. En témoigne le départ de la plupart des Palestiniens chrétiens, de guerre lasse après les harcèlements de leurs frères musulmans. Jusqu’à aujourd’hui, les pays islamiques sont “unicommunautaires” ou cherchent à le devenir et à l’imposer.


On lira avec profit la Déclaration de Willowbank sur la relation entre l’Evangile et le peuple Juif. Elle se trouve ici.


Il n’est pas fou celui qui perd ce qu’il ne peut garder, afin de gagner ce qu’il ne peut perdre. (Jim Elliot)