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Pourquoi s’investir pour Christ ?

Le témoignage de l’apôtre Pierre

 

    Pourquoi, selon toi, devrions-nous nous investir pour Christ ?

Quelle question étrange ! Le seul dans notre équipe de disciples qui ne s‘est pas investi pour le Maître, du moins, pas jusqu’au bout, c’était Judas … La vraie question serait plutôt, mais pourquoi ne pas s’investir à 100% ?

Mais bon, je vais quand même te répondre.

Il y a trois choses qui ont changé ma vie au point de m’engager totalement pour le Maître.

Tout a vraiment commencé ce jour où nous étions avec lui près de Capernaüm, au bord du Lac. Nous avions travaillé toute la nuit, Jacques, Jean, André et moi, mais ça n’a pas pris. Tu sais, il y a des nuits comme ça. Rien. Pas un seul poisson dans nos filets. J’étais furieux ! On avait juste eu le temps de dormir quelques heures quand ma femme m’a réveillé. Simon, dit-elle, le Maître t’appelle. Il a besoin de toi. Il y avait foule, et il voulait utiliser ma barque comme plateforme pour enseigner les gens. Il a dû parler deux ou trois heures et vers midi, il a renvoyé les gens pour aller manger et se reposer. Alors, il me dit : Simon, allons pêcher. Tu aurais dû me voir. Toute la frustration d’une nuit de pêche perdue devait se lire sur mon visage. Pêcher ? A midi ? Après une nuit pareille ? J’ai protesté, bien sûr ! Après tout, la pêche, c’était mon domaine. Mais j’ai capté un de ses regards. Quand il te regarde comme ça, tu sais bien que ça ne sert à rien d’argumenter. Il était comme ça. Il savait te regarder que tu n’avais plus envie de rouspéter. On est donc parti en eau profonde, André, moi, et mon commis Jonas – c’était un nom populaire parmi les pêcheurs; mon propre père s’appelait comme ça. On a jeté le filet avec un visage qui en disait long sur nos sentiments ! Pêcher à midi, quelle idée !

    Je ne vois pas vraiment où tu veux en venir ! Tout ça a un rapport avec ma question ?

J’y arrive. Tu vois, jeter le filet est l’affaire de quelques minutes. Il s’est enfoncé dans la mer. Habituellement, après cela, on se met à ramer si la voile ne prend pas assez de vent, et ce jour, il n’y avait guère de vent. On prend les rames, on tire deux ou trois coups dessus et on sent que ça ne veut pas avancer. Les cordes du filet étaient complètement tendues. J’avais pas besoin de calculer. Soit on s’était pris dans les rochers, mais c’était impossible, soit c’était archi plein. Une pêche comme on n’en a jamais eue, ni avant, ni après. On n’osait pas tirer par peur de déchirer le filet. André a crié et Jacques et Jean sont venus prêter main forte. Ensemble, on a sorti le filet. Deux barques remplies à ras-bord de poisson, voilà ce qu’on avait pris. Tu vois, c’était pas nous. On aurait rien dû prendre. C’était Jésus. Plus tard, je l’ai entendu dire à quelqu’un : “Qu’il te soit fait selon ta foi !” Eh bien, moi, il m’a fait selon mon incrédulité, et sans s’offusquer de mon orgueil. C’est là pour la première fois que j’ai compris qui il était. Et qui j’étais. Tu me croiras ou pas, je me suis jeté à ses pieds, là, au milieu des poissons. Dieu était dans ma barque et moi, je lui avais tenu tête ! Et lui, il m’a fait grâce. Du moins, c’est plus tard que j’ai compris cela. Moi, un pêcheur puant, têtu et incrédule. Il aurait dû me jeter comme un malpropre, et je le lui ai dit. “Laisse-moi tomber, je n’en vaux pas la peine.” Je mourais de peur. Et les autres tout autant. On avait compris. Le Messie, les poissons et nous, ça ne pouvait pas aller. Tu peux pas toucher à Dieu. J’ai toujours su que j’étais pécheur. Dans la synagogue, on me l’avait bien enseigné. Mais là, je l’ai senti. Pour la première fois. J’avais pas droit d’être là. J’avais pas droit d’être en sa compagnie. J’étais sale au propre et au figuré. Et il était le Messie de Dieu. Saint. Ineffable. Dangereux. Je pense que c’est ce que nous avons senti. J’étais indigne, impur et en danger. J’étais pire qu’un lépreux. Un ver, tout juste bon à me faire aplatir. Un criminel devant le Juge. Et il a choisi ma barque, ma compagnie, mon amitié. C’était pas possible. Ça ne pouvait pas durer.

Tout à coup, j’ai senti sa main m’effleurer. Il m’a répondu. Tellement doucement que je ne sais même pas si les autres l’ont entendu. “N’aie pas peur. Je ferai de toi un pêcheur d’hommes.” J’étais accepté ! Mes yeux ont vu le Messie et il m’a accepté ! Lui qui n’était pas de ce monde est entré dans le mien pour que j’entre dans le sien ! Non seulement il pouvait tolérer ma présence, non, il aimait ma présence ! Il me voulait à son service !

Qui veut d’un pêcheur galiléen ? Nos rabbins nous l’avaient bien fait comprendre. Ceux de la Judée étaient les vrais. Et parmi eux, les docteurs de la Loi et les pharisiens étaient les gens que Dieu préférait. Mais de la Galilée rien de bon pouvait venir. Et il m’engagerait ? Un quidam de Nephtali qui puait le poisson et qui ne savait pas se taire et qui se prenait pour quelqu’un ? Moi, enrôlé par le Messie ? Faut pas rire ! Mais c’est pourtant exactement ce qu’il a fait. Aujourd’hui, j’en ris, mais de joie.

Il faut pas s’étonner qu’on a tout laissé là. J’ai dit à Jonas qu’il pouvait reprendre les affaires. J’allais m’investir ailleurs. Jacques et Jean ont dit la même chose à Zébédée, leur père. André a fait pareil. S’investir pour ce Jésus ? Il fallait être fou pour ne pas le faire, tu comprends ?

    Si je comprends bien, c’est le récit de ta conversion ?

Oh, mon garçon, je crains que c’était un peu plus compliqué que cela, mais, dans un sens, oui, tu as raison. C’était comme une nouvelle naissance, un nouveau départ dans la vie. Mais ce n’était que le tout début.

    Tu as dit qu’il y avait trois choses qui ont bouleversé ta vie au point de te donner totalement au Messie. Raconte-moi la deuxième, si tu veux bien.

Peu à peu, nous avons commencé à connaître Jésus. On l’a vu faire tant de choses étonnantes. On l’a entendu dire tant de choses étonnantes. On a parcouru tout le pays avec lui. Mais un beau jour, je me le rappelle très bien, nous étions à Césarée de Philippe, tout au nord. On parlait de ce que racontaient les gens sur Jésus, et il nous a posé la question à nous. “Pour vous, qui suis-je ?” On s’est tous regardé. En fait, aucun de nous n’avait vraiment de doutes. Bien sûr, c’est moi qui ai parlé. Je ne raterai jamais une bonne occasion de me taire ! J’ai dit : “Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant !” Tu vois, c’était évident. Il guérissait les malades, chassait les démons, ressuscitait des morts. Quand il parlait, tu oubliais tout. Un jour, on était resté trois jours à l’écouter, et on était des milliers ! Il n’y avait pas de doute possible. Si le Messie devait encore venir, il ne pourrait pas faire plus. Non, il était bien le Messie et il allait établir son royaume ... avec nous !

Tu vois, on avait bien appris nos prophètes. Le Messie était Fils de Dieu. Ne me demande pas comment. A l’époque, j’aurais été totalement incapable de l’expliquer. Mais s’il était le Messie, il devait être lié à Dieu d’une façon ou d’une autre. Qui d’autre pouvait pardonner les péchés sinon Dieu ? Et il pardonnait les péchés. Il avait pardonné mes péchés. Ce n’est que plus tard qu’on a commencé à comprendre. Et encore, tout juste commencé.

Voilà que, un peu après, Jésus se met à parler de l’avenir. Tu penses qu’on était intéressé ! Il irait à Jérusalem. Et là, il serait mis à mort ! Tu parles d’une douche froide ! Comme si on avait plongé dans le Lac en plein hiver ! Mourir ? Le Messie mourir ? C’était inconcevable. Le Messie ne pouvait pas mourir. Les Romains auraient dit qu’il était immortel. Mon sang n’a fait qu’un tour. “Jamais, Seigneur ! Cela n’arrivera jamais ! Pitié, c’est pas possible !” Ce qu’il m’a répondu m’a glacé le sang. “Va-t’en ! Passe derrière moi, Satan ! Tu es en train de me tendre un piège. En effet, tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les hommes !” Moi, Pierre, tendre un piège à mon Maître ? Me faire le porte-parole du diable ? J’étais terrassé ! Tu parles sans réfléchir et tu deviens la porte d’entrée de Satan !

Alors, Jésus nous a tous appelé autour de lui pour nous dire que le suivre ne serait pas une partie de pêche par nuit calme. Voici ce qu’il a dit : “Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. En effet, celui qui est préoccupé de sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile, la sauvera. Si un homme parvenait à posséder le monde entier, à quoi cela lui servirait-il, s’il perd sa vie ?”

Tu saisis ? Il n’est pas fou celui qui perd ce qu’il ne peut garder, afin de gagner ce qu’il ne peut perdre. Nous, on bute contre la mort. Tout, mais pas ça. Mais Jésus nous a donné une autre perspective. Mourir pour soi, en ayant vécu que pour soi, voilà le drame. Mais mourir pour lui n’était pas un drame. La vie est plus grande que la mort. Je comprends cela maintenant. Mais en ce moment, on n’a pas compris grand-chose !

 

Nous étions encore dans le coin quand Jésus a pris Jacques et Jean et moi-même pour monter sur la montagne. Il est allé prier à quelques pas de nous. C’était son habitude. Nous, on regardait. C’était notre habitude. C’est bien plus tard que nous avons saisi que nous pouvions aussi parler à Dieu comme il le faisait, mais en ce temps, on n’y voyait pas très clair.

Tout à coup, la figure de Jésus changea, là devant nous. On s’est frotté les yeux et on s’est regardé. On était terrifié ! Il est devenu blanc, non, plus que blanc. Sa peau, ses vêtements, tout. Blancs comme le soleil en plein été. On pouvait pas le fixer de nos yeux, tellement il était devenu éblouissant. J’ai l’impression qu’il est devenu plus grand aussi, mais je n’en suis pas sûr. Les Romains auraient dit un dieu, Jupiter ou Apollon. Nous, on croyait voir la Shékina descendue sur la montagne ! Puis, deux autres personnes sont apparues. De nulle part. Un moment, il n’y avait que Jésus, ou, du moins, celui qui pour nous était Jésus, et le moment suivant, les deux autres étaient là. On les a reconnu presque sans réfléchir, tant ils ressemblaient aux images qu’on s’était toujours fait de Moïse et d’Elie, barbe et manteau, la totale. Peut-être aussi que quelque chose en nous disait que c’était eux. Ils se sont mis à parler avec Jésus. Plus tard, Jésus nous a dit qu’ils ont parlé de sa mort à Jérusalem.

Nous étions totalement subjugués, ébahis. Alors, je me suis mis à parler. J’étais vraiment bête. J’aurais dû me taire. On n’était tout simplement pas dans la même catégorie. Mais j’étais comme ça à l’époque. Toujours trop vite à parler. J’ai suggéré qu’on dresse trois tentes, une pour chacun. Je suppose que je voulais faire durer le plaisir. Enfin, c’était surtout stupide ! J’avais tellement peur devant ce que je voyais. C’était hallucinant. C’est pas permis à un homme de voir ces choses. Qui pouvait supporter de voir la gloire de Dieu ? Il y en a qui sont morts pour bien moins !

A peine avais-je parlé qu’un nuage a enveloppé la montagne. Pas comme un brouillard qui descend lentement, non, en quelques instants, on n’y voyait plus rien. Puis, une voix a parlé. On en a parlé ensemble par après, mais aucun de nous n’a tout à fait entendu la même chose. Je veux dire, la voix. Une voix d’homme ? Une voix de femme ? Une voix d’enfant ? On n’est pas tombé d’accord, mais en même temps, on comprenait tous les trois ce que l’autre voulait dire. Par contre, on a tous entendu ce que la voix disait. “Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qui fait toute ma joie : écoutez-le.” Dieu a parlé distinctement à nos oreilles. Nous l’avons entendu comme je t’entends, comme nos pères ont dû entendre dans le désert. Pas de doute possible. Aussi vite qu’il était venu, le nuage s’est dissipé et nous avons vu Jésus. Personne d’autre. Le Jésus qu’on croyait connaître. Il est le Fils de Dieu. J’avais dit ça une semaine avant, mais sans vraiment comprendre. Là, Dieu l’a dit et nous l’avons entendu. Ecoutez-le ! Tu penses qu’on l’a écouté ! Comme jamais auparavant. Le Fils de Dieu ! Avions-nous compris ce que ça voulait dire ? Pas vraiment. Tu vois, tu peux écouter et avoir ton cœur tellement rempli qu’il éclaterait et pourtant ne pas tout comprendre. Si tu veux d’abord tout comprendre, tu passeras toujours à côté, j’en suis convaincu. Si tu veux tout comprendre avant de t’engager, tu resteras dehors, comme Judas est resté dehors.

Ecoutez-le ! Tu vois, c’est Dieu qui te dit ça. Il le dit à tous les hommes et j’en suis un témoin. On croit pas à des fables que quelqu’un a inventées. J’ai vu. J’ai entendu. Et je n’ai plus jamais oublié. Je n’avais qu’un seul désir : m’investir pour lui, tout donner pour lui.

    Tu a dit qu’il y a trois choses qui t’ont poussé à suivre Jésus. Dois-je comprendre qu’il y a plus ? Mais comment peut-il y avoir plus après ça ?

Oui, tu as raison. Mais la troisième chose est très différente. La troisième chose, c’était le pire moment de ma vie, quand j’ai touché le fond.

    Mais comment est-ce possible ? Après avoir vu et entendu, après avoir été sur la montagne ?

Si tu me poses la question, c’est que tu n’as pas encore beaucoup avancé dans ta vie chrétienne. Tu vois, c’est une chose de commencer à le connaître. C’en est une toute autre de commencer à te connaître toi-même.

 

Je t’ai raconté que Jésus nous a dit qu’il irait à Jérusalem et qu’il mourrait. Eh bien, il y est allé. Personne ne pouvait l’arrêter. Thomas a été le dernier à essayer. Mais en vain. Thomas. Je l’entends encore. Il se tourne vers nous et nous dit : “Allons-y avec lui pour mourir avec lui !” Il avait tout compris, Thomas. Il y avait une telle haine contre Jésus, et ses ennemis étaient si puissants qu’il n’y avait pas d’autre issue possible. Je crois que Thomas l’avait mieux compris que nous autres à ce moment-là.

Oh, ça a plutôt bien commencé. Un de ces retours de situation auquel tu ne peux pas t’attendre. Lazare, un ami proche de Jésus, était mort. Et Jésus est allé le réveiller. Il parlait comme ça de la mort, on l’avait déjà entendu avant. Comme si la mort n’est qu’une petite somme ! Jamais, j’ai entendu quelqu’un parler de la mort comme lui. Réveiller, tu parles qu’il l’a réveillé ! Quatre jours déjà qu’il était enterré, le Lazare. Et Jésus l’a sommé de sortir de sa tombe. Comme je te le dis ! “Lazare, sors !” On s’est regardé, Jean et moi. Je pense qu’on a eu la même pensée. Là, c’est vraiment pas possible. Il va trop loin. Mais à travers l’ouverture – on avait roulé la pierre sur l’ordre de Jésus – on a vu quelque chose bouger. Il est sorti, tout emballé pour la mort. La terreur, je ne te le dis pas. Avant la joie la plus délirante, on était tous transis de terreur. Si même la mort lui obéit à ce point … Je me sentais comme sur ma barque, totalement anéanti, indigne. Qui étais-je pour vivre avec Dieu ?

On avait tous oublié nos pensées morbides sur la mort de Jésus. N’était-il pas le Messie ? Il venait établir son règne. On le sentait. C’était dans l’air. On était des centaines à le croire. Rien ne pouvait l’arrêter. A la fin du sabbat suivant, il est entré à Jérusalem. Tu aurais dû le voir. Comme annoncé dans le prophète Zacharie, il était assis sur un ânon. Des centaines, peut-être même des milliers de gens étaient amassés le long du chemin qui va du mont des Oliviers à la ville. Tout le monde chantait. On avait arraché des branches de palmiers pour les mettre sur le chemin devant lui. “Hosanna ! Béni soit le royaume qui vient, le royaume de David !” Quelle folle journée ! Il n’y avait que les pharisiens à ne pas chanter. Ils étaient furieux, ça se voyait. Jésus ne chantait pas non plus. A un moment, il pleurait même. Il savait. Tu vois, il connaissait les gens. Il savait qu’on était fort capable de chanter les louanges un jour et de hurler les pires obscénités le lendemain. Il pleurait parce que Jérusalem n’avait rien compris à ce jour. Il nous a vraiment fallu du temps pour comprendre ce qu’il avait voulu dire. Nous, on pensait que justement tout le monde était là pour accueillir le Messie ! Mais il savait mieux. Même nous, ses disciples, on était capable de le décevoir. Mais une chose à la fois.

Nous sommes arrivés au temple et Jésus s’est fabriqué un fouet. Je ne croyais pas mes yeux ! Il s’est mis à chasser les vendeurs du temple. Quelle pagaille ! Des animaux couraient de partout. Les marchands, eux, rampaient par terre parce que leurs sous s’en allaient et, crois-moi, il y avait beaucoup de mains pour s’en mettre plein les poches. L’occasion était trop bonne. Nous, on était ravi ! Ça allait commencer ! Le royaume de David serait établi ! L’exploitation du peuple prendrait fin et les oppresseurs en auraient pour leur argent. Enfin ! Les prophéties prenaient vie devant nos yeux ! Le Messie était là. Rien ne lui résisterait, on le savait. On le connaissait.

Le soir venu, on est parti. Il n’a pas voulu passer la nuit dans la ville. Contrairement à nous, il savait que ça n’allait pas se passer comme nous pensions. On revenait le jour et on partait le soir chaque jour de cette courte semaine. L’enthousiasme délirant de ce premier jour est retombé comme un soufflé. Les chefs du peuple ont repris l’initiative. Aucun mouvement pour établir le règne de David. On sentait une tension dans l’air. Pâques était à quelques jours et les Romains veillaient au grain. Ça pouvait exploser à tout moment. Un climat malsain a chassé la joie de ce début de semaine. On aurait dit que les gens étaient déçus, désillusionnés. Ça tournait au vinaigre. Nous, on voulait savoir. Deux jours plus tard, on était assis sur le mont des Oliviers. On y avait une vue imprenable sur la ville qui brillait au soleil. Le temple était d’une beauté à couper le souffle. Jésus a vu notre admiration et il a dit : “Regardez bien, car ça ne va pas durer. Il n’en restera pas une pierre sur une autre. Tout sera démoli.”

Alors, avec Jaques et Jean et André, j’ai posé la question qui me brûlait les lèvres : “Dis-nous : Quand est-ce que cela va arriver ? Comment allons-nous savoir que c’est le moment ?” Et il nous a répondu. Oh, on a vite compris que ce ne serait pas pour demain, le règne de David. Que beaucoup de temps allait passer. Je crois que c’est ce jour-là que nos pressentiments morbides sont revenus. Si ce n’était pas pour aujourd’hui, c’est qu’autre chose allait se passer d’abord. Ça ne sentait pas bon. Je crois que Judas, mieux encore que nous, s’était réalisé que ça allait mal finir. Je suis sûr qu’il a décidé de trahir Jésus ce soir-là. Il n’avait pas envie de mourir pour une chimère. Il voulait vivre, gagner de l’argent, avoir un bel avenir. Ce soir, il a su que Jésus n’allait pas lui offrir cela. D’ailleurs, en descendant du mont des Oliviers, Jésus a répété ce qu’il avait dit depuis tout un temps. Il serait livré aux autorités pour être crucifié. J’ai saisi plus tard le sens de ce mot affreux : il serait livré.

Deux jours plus tard, nous avons célébré la Pâque. Jésus nous a envoyé préparer la salle, Jean et moi. Il a dû savoir que Judas était passé à l’acte, car il n’a pas donné d’adresse. On devait aller dans la ville, trouver un homme qui portait une cruche d’eau, le suivre chez lui et préparer la Pâque dans la salle au premier. Jésus ne voulait pas que Judas soit au courant pour qu’on puisse célébrer la Pâque en paix.

Le soir, Jésus est arrivé avec les autres et on a commencé le repas. Mais ce n’était pas comme les autres Pâques que nous avions célébrées avec lui. Ce soir, Jésus n’a pas suivi la coutume. Il a commencé par nous laver les pieds. Normalement, c’est un serviteur qui fait cela. Mais il n’y en avait pas. On était juste nous douze avec Jésus. J’étais vraiment gêné : le Messie me laver les pieds ? Jamais de la vie ! Mais il a dit qu’il le fallait. Et que nous, à notre tour, on devait accepter la dernière place, et servir les autres.

Quand il a pris le pain, il n’a même pas parlé de nos pères en Egypte. Il a dit que, dorénavant, on mangerait la Pâque en souvenir de lui, que c’était son corps et non le pain de l’affliction du temps de l’Exode. Et la coupe suivante serait désormais le signe de la nouvelle alliance. Il verserait son sang pour beaucoup de gens pour conclure cette alliance.

Mais le pire, c’est qu’il nous a dit que l’un de nous le trahirait. On était totalement pris de court. Aucun de nous n’avait discerné la nuit dans le cœur de Judas. On a tous demandé si c’était nous. On était horrifié.

Nous sommes sortis de là pour aller au mont des Oliviers. Judas nous avait déjà quittés, mais aucun de nous n’y a fait attention. Jésus nous dit que nous allions tous l’abandonner. Alors, j’ai dit – et je voudrais n’avoir jamais prononcé ces mots – que même si tous allaient l’abandonner, il pourrait compter sur moi. Alors, il m’a répondu avec une tristesse dans la voix comme il n’avait jamais eu, que je le renierais. Avant le chant du coq, je l’aurais renié trois fois. Aucun de nous ne l’a cru, et surtout pas moi !

Nous sommes arrivés dans le jardin de Gethsémané et Jésus nous a demandé de l’attendre et de veiller avec lui. Il est allé prier un peu plus loin. Et on s’est tous assoupi. On l’a laisser se débrouiller seul. Moi, le courageux qui avait dit qu’il ne l’abandonnerait pas ! “Simon, tu dors ? Tu ne peux même pas veiller une heure avec moi ?” C’est ce qu’il m’a dit. A trois reprises, cela s’est passé de la même façon. Chaque fois, on s’est endormi. Etait-on fatigué ? Sans doute, mais je pense que cette nuit, quelque chose de sinistre s’est ajouté à notre fatigue. Le mal rôdait dans ce jardin comme un lion rugissant. Et Jésus l’a confronté seul.

Quand il nous a réveillés la troisième fois, nous n’étions plus seuls. Des flambeaux, du bruit. On venait ! A la lumière des torches, nous avons reconnu Judas. Mais on était onze. On n’allait tout de même pas laisser faire ?! J’ai pris mon épée – j’étais armé, comme Simon, l’autre Simon. D’un coup sec, j’ai tranché l’oreille d’un des soldats. Mais Jésus m’a arrêté aussi vite. “Rangez vos épées, nous dit-il. Car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée.” Puis, il toucha l’oreille du soldat et le guérit. Il dit aux chefs venus pour l’arrêter : “Maintenant c’est votre heure et les ténèbres vont exercer leur pouvoir.” A ces paroles, la peur nous a tous pris à la gorge. C’était comme si un filet mortel descendait sur nous. Nous avons fui. Nous, les courageux. Moi, qui avais juré de lui rester fidèle. On l’a abandonné.

Quand je suis revenu à moi-même, j’étais seul. Au loin, je voyais les gardes et leurs flambeaux s’éloigner en direction de la ville. Je n’avais aucune idée où étaient les autres. La honte a remplacé ma peur. Il fallait que je fasse quelque chose. Mais quoi ? Je suis descendu pour m’approcher des soldats, et de Jésus. C’est ainsi que j’ai retrouvé Jean. Il avait eu la même idée. Juste derrière eux, nous sommes rentrés dans la ville. On l’a conduit dans la maison du beau-père de Caïphe, le grand-prêtre. Jean m’a fait entrer dans la cour, et je me suis mis tout près d’un feu. Je grelottais de froid et de peur. J’étais entouré de gardes et de serviteurs. Je ne sais pas où était Jean. J’étais seul. Comme Jésus que, par moments, je pouvais apercevoir dans l’embrasure des portes.

Voilà qu’une servante vient à côté de moi. J’avais couru et mes cheveux étaient ont dû être tout ébouriffés. C’était clair que je n’étais pas un habitué des lieux ! J’ai senti son regard se poser sur moi. “Mais, tu étais avec ce Jésus, ce Nazaréen !” Là, j’ai vraiment paniqué. J’étais dans la gueule du loup ! Aussi sec, je lui réponds : “Je ne vois pas ce que tu veux dire, je ne connais pas cet homme.” Sans demander mon reste, je me suis éloigné d’elle pour entrer dans le vestibule. Mais elle m’a suivi et dit aux autres : “Cet homme fait aussi partie de ces gens-là.” “Mais non, lui dis-je, je te le jure, je ne le connais même pas !” Moi, Pierre, j’ai dit ça ! Sans même hésiter, j’ai renié Jésus ! Et ce n’était pas encore fini. Elle est partie de là et je commençais à respirer un peu et à lier un brin de conversation avec celui qui était à côté de moi, question d’éloigner les soupçons. Cela a duré peut-être une heure. A l’intérieur, l’interrogatoire de Jésus se poursuivait, mais je ne pouvais rien entendre.

Tout à coup, un homme s’est approché de moi, un autre serviteur. Il m’avait entendu parler et me dévisagea. Il me dit alors : “C’est sûr, toi aussi, tu fais partie de ces gens ! C’est évident : il suffit d’entendre ton accent ! Voyons, ne t’ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? Tu ne serais pas celui qui a tranché l’oreille de mon cousin ?” J’étais pris ! Que pouvais-je faire ? Mais qu’est-ce qui m’a pris à vouloir entrer dans cette maison maudite ? Je n’ai même pas eu le temps de réfléchir. Il fallait me sortir de ce piège ! Alors, j’ai dit, assez fort pour qu’on puisse m’entendre : “Que Dieu me punisse si je mens ! Je ne connais pas cet homme, je le jure !” A l’instant même, un coq se mit à chanter. Le coq ! La parole de Jésus ! Instinctivement, j’ai regardé à l’intérieur. Je pouvais juste le voir. Et il m’a regardé ! Moi, le traitre, le parjure, le lâche !

Pour la deuxième fois en cette nuit de malheur je me suis enfui. J’ai couru, les larmes aux yeux, l’amertume au cœur, des accusations plein la tête. J’ai erré ainsi toute la journée. Personne ne m’avait aimé comme lui. J’avais reconnu en lui le Messie, le Fils du Dieu vivant. Et je l’avais trahi. J’avais trahi sa confiance. Moi qui m’étais cru le meilleur, j’étais devenu le pire. “Que Dieu me damne”, je l’avais dit ! J’étais un damné. Un homme marqué pour l’éternité, un nouveau Caïn. Et le frère que j’avais abandonné était le Fils de Dieu !

Ne me demande pas des souvenirs de ce jour où Jésus fut crucifié. Je n’en ai aucun. C’est comme un brouillard dans ma tête. Jean m’a raconté plus tard ce qui s’était passé. Il était là. Pas moi.

Le soir était déjà tombé quand j’ai trouvé le chemin de la maison de Marc. On y avait souvent été avec Jésus. J’avais besoin de retrouver les autres. Mais j’avais honte. Tellement, que je n’ai rien dit. C’était pas très difficile de cacher mes pensées. Tout le monde était accablé de tristesse. Nous avons passé deux jours interminables, remplis de pleurs, de reproches, de honte et d’amertume. Nous avions mis notre avenir, notre vie, notre espoir en Jésus. Et maintenant ?

Finalement, le repos du sabbat toucha à sa fin. Quelques-unes des femmes sont allées le matin très tôt au tombeau où on avait enterré Jésus. Elles voulaient achever de l’embaumer. C’était bien la moindre chose qu’on puisse faire pour lui.

A peine une heure plus tard, Marie de Magdala était de retour. Elle nous a pris à part, Jean et moi, et nous a raconté l’histoire la plus étonnante de toutes. Jésus serait vivant, et il lui avait parlé. Franchement, on n’y a pas cru, mais on a quand même couru au tombeau. Jean y avait déjà été et courait plus vite que moi. Quand on est arrivé, le tombeau était ouvert, comme celui de Lazare. Je suis entré. Je voyais bien les linges par lesquels on avait enveloppé le corps de Jésus. Ils étaient là où ils ont dû déposer le corps, mais comme si le corps lui-même s’était évaporé. Je n’ai rien compris. Jusqu’au soir. On était tous dans la maison, portes et volets verrouillés. On avait peur qu’on viendrait nous arrêter à notre tour.

Soudain, il était là, au milieu de nous ! Venu de nulle part. Un moment, il n’y était pas, le moment suivant, il était là. “Que la paix soit avec vous”, dit-il pour nous rassurer. Nous, on croyait voir un fantôme ! Alors, il a mangé quelque chose, question de nous calmer. Les fantômes ne mangent pas, on le sait bien. Alors, il a commencé à nous enseigner, et pour la première fois, on a commencé à comprendre. Pourquoi il était mort. Comment c’était possible que le Messie soit rejeté. Comment les prophètes avaient annoncé tout cela. Que lui, le Messie, avait vaincu la mort. Que maintenant, notre mission était de dire cela au monde entier, d’aller partout pour que les gens mettent leur confiance en le Messie.

C’était merveilleux … mais je n’étais pas tranquille. Ma conscience m’accusait sans relâche. Moi, le traitre, je n’avais pas ma place ici. J’étais un damné selon mes propres paroles. Où trouver une solution ? A qui parler ? Tout le monde était joyeux, sauf moi. Au plus profond de moi, la honte et le doute me tenaillaient. Je ne doutais pas que Jésus était vivant. Qui pouvait le nier ? Mais je doutais de moi. J’étais devenu un étranger, un exclu.

Environ deux semaines plus tard, nous étions en Galilée. A quelques-uns, on est allé pêcher. C’était la première fois depuis ce jour où Jésus était venu dans ma barque. J’ai dû y penser. On n’a rien pris de toute la nuit. Comme cette autre nuit. Au lever du jour, on est retourné vers la côte. Un homme nous fait signe de loin et crie pour savoir si on a pris quelque chose. On crie qu’on n’a rien pris. Alors, crie-t-il, jetez votre filet à droite de votre barque et vous en trouverez. On le fait. A peine, le filet s’est-il enfoncé dans l’eau, que la barque s’arrête. Comme l’autre fois, tu comprends. Il était plein. Alors, Jean m’a regardé. “C’est le Seigneur,” m’a-t-il dit. Je ne l’avais même pas encore compris !

J’ai enlevé ma tunique, j’ai sauté dans l’eau et j’ai nagé jusqu’à lui. Ça ressemblait trop à l’autre fois. Il était là et m’avait surpris par sa grâce. Et j’étais indigne, bien pire qu’alors. Je ne pouvais pas rester là. Et je ne pouvais pas rester avec Jésus. J’allais partir. J’allais lui dire que j’avais compris et que c’était pas pour moi. Qu’il ferait mieux d’investir son temps avec des gens meilleurs que moi.

Mais je n’ai rien dit. Je ne pouvais rien dire. Je ne lisais en ses yeux aucun reproche. Bien au contraire. On s’est regardé longuement. Mes yeux remplis de larmes. Son regard d’une douceur infinie.

Les autres nous ont rejoints et on a mangé ensemble, comme autrefois.

Après le repas, il m’a parlé. Enfin. J’allais être fixé.

“Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?” La question m’a pris de court. Je m’étais attendu à toute autre chose ! L’aimer ? Plus que les autres ? J’avais prouvé le contraire. Celui qui aime est prêt à donner sa vie pour l’autre. J’avais fait le contraire ! J’avais été pire que les autres. Je lui ai répondu : “Oui, Seigneur, tu sais bien que je suis ton ami.” Jésus m’a regardé. Il a tout vu, j’en suis sûr. Tout ce mélange de honte, d’amertume, de désespoir, et pourtant d’amour. Mais il m’a seulement dit : “Sois un berger pour mes agneaux.”

Puis, il me l’a demandé une deuxième fois. “Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ?” Aimer ? Savais-je vraiment ce que c’était ? Je l’avais déçu et abandonné. J’étais un traitre. Au pire moment, je l’ai laissé tomber. J’étais sans excuse. Moi, je savais qui il était. J’avais été sur la montagne. J’avais vu et entendu. Dieu lui-même m’avait parlé. Et j’avais laissé la peur voler mon amour. Et pourtant, oui, je l’aimais. Je ne pouvais pas vivre sans lui. Je ne voulais pas vivre sans lui. Sans lui, plus rien n’avait du sens. Vivre sans lui, ce serait comme si j’étais un poisson hors de l’eau. Enfin, je lui ai répondu la même chose. “Oui, Seigneur, tu sais que je suis ton ami. Le même regard s’est posé sur moi. Le regard du Fils de Dieu. Comme le regard du jugement dernier, mais sans dureté. Un regard – je n’osais pas y croire – un regard d’ami. Un regard qui voulait dire : je suis mort pour toi. J’ai porté ta trahison jusque sur la croix. Il m’a dit : “Conduis mes brebis.” Je n’étais pas renvoyé. Il voulait encore de moi. J’étais accepté, comme ce jour dans ma barque !

Mais je n’avais pas le temps d’y penser. Voilà qu’il reprit la parole. “Simon, fils de Jonas, es-tu mon ami ?” Tout à coup j’ai compris. A trois reprises, je l’avais renié. Trois fois, j’avais trahi son amour. Aimer ? Je n’avais pas osé prendre ce mot en bouche. Il me brûlait. J’avais dit que j’étais son ami. Jésus avait parlé de cela à table, à peine quelques semaines plus tôt, avant cette nuit terrible. “Je ne vous appelle plus serviteurs, parce qu’un serviteur n’est pas mis au courant des affaires de son maître. Je vous appelle mes amis, parce que je vous ai fait part de tout ce que j’ai appris de mon Père.” Il était devenu mon ami. Etais-je le sien ? J’avais agi comme un ennemi. J’avais tourné le dos à sa souffrance. Un “roseau percé”. Le mot du prophète m’a traversé l’esprit. Il avait mis sa confiance en moi et j’avais été un roseau percé, ajoutant encore à sa peine. Et pourtant, oui, je voulais être son ami, plus que tout au monde. Les larmes ont inondé mes yeux. Et tout le temps, il m’a regardé. Finalement, j’ai répondu à sa question. “Seigneur, tu sais tout, tu sais que je suis ton ami.” Oui, il savait tout. Il savait tout. Pour la première fois de ma vie j’ai compris le soulagement de cette phrase. Il n’y avait rien à cacher. Son regard était plein de compassion. Il avait comme un sourire aux lèvres. Comme s’il me dit : ‘Simon, mon ami, tu as vaincu. Viens. Laisse-moi t’embrasser.’ Mais il a seulement dit : “Sois un berger pour mes brebis.” Et il a ajouté : “Vraiment, je te l’assure : quand tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais, mais quand tu seras devenu vieux, tu étendras les bras, un autre nouera ta ceinture et te mènera là où tu ne voudrais pas aller.” Puis, il m’a dit tout simplement : “Suis-moi !”

Je le savais. J’étais pardonné. Tout était réglé, effacé. Il avait réglé la facture de mes péchés.

Tu vois, mon garçon, c’est pour cela que j’investis tout pour lui. Je ne peux pas vivre autrement. Je ne peux plus vivre pour moi-même. Tant qu’il voudra de moi, je le suivrai.

(c) Egbert Egberts 2012

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Il n’est pas fou celui qui perd ce qu’il ne peut garder, afin de gagner ce qu’il ne peut perdre. (Jim Elliot)