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Le Dieu de la Bible, est-il le Dieu des religions ?

 

Dieu invitait les hommes à le chercher, et à le trouver, peut-être,comme à tâtons, lui qui n’est pas loin de chacun de nous. (Act 17.27 SEM)

 

Notre planète compte un nombre important de religions, de sectes, de mouvements religieux. Ne faut-il pas admettre que derrière les différences, il y a un fond religieux commun qu’il faut valoriser en désaccentuant les particularismes ? Après tout, le Dieu de la Bible, n’est-il pas le Dieu des religions ?

Commençons avec une histoire. Lessing (1729-1781), philosophe allemand de la période des Lumières, a écrit une pièce de théâtre pour montrer que les religions monothéistes ont à vivre dans la tolérance et la fraternité et qu’aucune ne peut se prévaloir d’être l’unique vraie. Nathan le Sage, un Juif, y est en discussion avec Saladin, le sultan, et un templier, représentant le Christianisme. Quelques extraits pertinents :

Nathan le Sage, la parabole des trois anneaux

“Il y a des siècles de cela, en Orient, vivait un homme qui possédait un anneau d’une valeur inestimable, don d’une main chère. La pierre était une opale, où se jouaient mille belles couleurs, et elle avait la vertu secrète de rendre agréable à Dieu et aux hommes quiconque la portait animé de cette conviction. Quoi d’étonnant si l’Oriental la gardait constamment au doigt, et prit la décision de la conserver éternellement à sa famille ? Voici ce qu’il fit : il légua l’anneau au plus aimé de ses fils, et il statua que celui-ci, à son tour, léguerait l’anneau à celui de ses fils qui lui serait le plus cher, et que perpétuellement le plus cher, sans considération de naissance, par la seule vertu de l’anneau, deviendrait le chef, le premier de sa maison.

… Ainsi donc, de père en fils, cet anneau vint finalement aux mains d’un père de trois fils qui tous trois lui obéissaient également, qu’il ne pouvait par conséquent s’empêcher d’aimer tous trois d’un même amour. A certains moments seulement, tantôt celui-ci, tantôt celui-là, tantôt le troisième – lorsque chacun se trouvait seul avec lui et que les deux autres ne partageaient pas les épanchements de son cœur – lui semblait plus digne de l’anneau, qu’il eut alors la pieuse faiblesse de promettre à chacun d’eux. Les choses allèrent ainsi, tant qu’elles allèrent. Mais la mort était proche, et le bon père tombe dans l’embarras. Il a peine à contrister ainsi deux de ses fils, qui se fient à sa parole. Que faire ? Il envoie secrètement chez un artisan, auquel il commande deux autres anneaux sur le modèle du sien, avec l’ordre de ne ménager ni peine ni argent pour les faire de tous points semblables à celui-ci. L’artiste y réussit. Lorsqu’il apporte les anneaux au père, ce dernier est incapable de distinguer son anneau qui a servi de modèle. Joyeux et allègre, il convoque ses fils, chacun à part, donne à chacun sa bénédiction, et son anneau, et meurt.

… A peine le père mort, chacun arrive avec son anneau, et chacun veut être le chef de la maison. On enquête, on se querelle, on s’accuse. Peine perdue : impossible de prouver quel anneau était le vrai. … Presque aussi impossible à prouver qu’aujourd’hui pour nous – la vraie croyance.

… Comme je l’ai dit, les fils se citèrent en justice et chacun jura au juge qu’il tenait directement l’anneau de la main du père – ce qui était vrai – après avoir obtenu de lui, depuis longtemps déjà, la promesse de jouir un jour du privilège de l’anneau – ce qui était non moins vrai ! Le père, affirmait chacun, ne pouvait pas lui avoir menti; et, avant de laisser planer ce soupçon sur lui, ce père si bon, il préférerait nécessairement accuser de vol ses frères, si enclin fût-il par ailleurs à ne leur prêter que les meilleures intentions. Il saurait bien, ajoutait-il, découvrir les traîtres, et se venger.

… Le juge dit : “Si vous ne me faites pas, sans tarder, venir céans votre père, je vous renvoie dos à dos. Pensez-vous que je sois là pour résoudre des énigmes ? Ou bien attendez-vous que le vrai anneau se mette à parler ? Mais, halte ! J’entends dire que le vrai anneau possède la vertu magique d’attirer l’amour : de rendre agréable à Dieu et aux hommes. Voilà qui décidera !

Car les faux anneaux, eux, n’auront pas ce pouvoir ! Eh bien : quel est celui d’entre vous que les deux autres aiment le plus ? Allons, dites-le ! Vous vous taisez ? Les anneaux n’ont d’effet que pour le passé ? Ils ne rayonnent pas au-dehors ?

Chacun n’aime que lui-même ? Oh, alors vous êtes tous les trois des trompeurs trompés ! Vos anneaux sont faux tous les trois. Il faut admettre que le véritable anneau s’est perdu. Pour cacher, pour compenser la perte, le père en a fait faire trois pour un.

… Et en conséquence, continua le juge, si vous ne voulez pas suivre le conseil que je vous donne en place de verdict, allez-vous-en ! Mon conseil, lui, est le suivant : prenez la situation absolument comme elle est. Si chacun de vous tient son anneau de son père, alors que chacun, en toute certitude, considère son anneau comme le vrai. Peut-être votre père n’a-t-il pas voulu tolérer plus longtemps dans sa maison la tyrannie d’un seul anneau ? Et il est sûr qu’il vous a tous trois aimés, et également aimés, puisqu’il s’est refusé à en opprimer deux pour ne favoriser qu’un seul. Allons ! Que chacun, de tout son zèle, imite son amour incorruptible et libre de tout préjugé ! Que chacun de vous s’efforce à l’envi de manifester dans son anneau le pouvoir de la pierre ! Qu’il seconde ce pouvoir par sa douceur, sa tolérance cordiale, ses bienfaits, et s’en remette à Dieu ! Et quand ensuite les vertus des pierres se manifesteront chez les enfants de vos enfants, alors, je vous convoque, dans mille fois mille ans, derechef devant ce tribunal. Alors, un plus sage que moi siégera ici, et prononcera. Allez ! Ainsi parla le juge modeste.”

 

Il serait assez tentant de conclure avec Lessing que, manifestement, ces religions se valent, et, pour bonne mesure, d’ajouter l’Hindouisme et le Bouddhisme à l’équation ! “Qu’est-ce la vérité ?” disait déjà Pilate, le sceptique. La réponse de Jésus-Christ, donnée la veille à l’un de ses disciples, Thomas, le pas encore incrédule, est : “Le chemin, c’est moi, parce que je suis la vérité et la vie. Personne ne va au Père sans passer par moi.” (Jn 14.6 SEM) Apparemment, le Christ n’est pas vraiment d’accord avec Lessing ! “Le diable est dans le détail”, dit-on. Ici, cela semble particulièrement vrai. Dès qu’on se met à comparer les religions, la tentation est de gommer le détail et de rester vague, flou, de favoriser une religiosité confortable et inoffensive. Ni le Christianisme, ni l’Islam s’inscrivent dans un tel programme.

Est-ce la tyrannie d’un seul anneau ? Oui et non. Manifestement, les religions monothéistes sont exclusivistes. Cela tient en peu de mots. Si Jésus-Christ est effectivement le Messie promis, le Fils éternel du Dieu vivant, et c’est ce qu’il a prétendu être, toute autre voie vers Dieu se trouve condamnée comme étant une impasse. Et si Jésus-Christ n’est pas le Messie promis, s’il n’est pas le Fils éternel du Dieu vivant, il est un imposteur : soit un menteur qui sait qu’il ment, soit un malade mental qui se fait des illusions sincères. Dans ce cas, le Christianisme est une farce et les chrétiens méritent notre compassion. Ils ont été induits en erreur, et c’est œuvre de charité que de le leur montrer ! Mais il est impossible que le Christianisme soit en même temps respectable, spirituellement élevé et faux. Le souci de véracité derrière la foi chrétienne invite à une vérification – de ses sources, de ses effets, de ses attentes. Il sait accepter la critique honnête pour la simple raison que la vérité est suffisamment forte pour supporter les questionnements, les critiques et le scepticisme. Le Christianisme est articulé autour de la question de la vérité.

Pour l’Islam, c’est en partie la même chose. Si Mohammed est un imposteur, la foi musulmane tombe. Tout comme le Christianisme, elle ne peut survivre au traitement du juge dans Nathan le sage. Si Mohammed dit vrai, alors le Christ n’est qu’un prophète parmi d’autres, et dans ce cas, le Christ du Christianisme est un imposteur. L’Islam ne peut accepter le Christ qu’en le dénaturant, et donc, en le détruisant. Inversement, si la Bible dit vrai du Christ, Mohammed ne peut être un prophète du Dieu éternel. Les deux conceptions peuvent cohabiter dans le respect, mais elles ne peuvent tolérer que la vérité soit double. L’une des deux doit être fausse. Les deux peuvent être fausses, mais les deux ne peuvent être vraies.

Ainsi, le schéma attrayant de Nathan le sage se brise sur les récifs de la vérité absolue.

Pourtant, il reste une pointe de vérité dans la conclusion de Lessing à travers le juge : “Que chacun, de tout son zèle, imite son amour incorruptible et libre de tout préjugé ! Que chacun de vous s’efforce à l’envi de manifester dans son anneau le pouvoir de la pierre ! Qu’il seconde ce pouvoir par sa douceur, sa tolérance cordiale, ses bienfaits, et s’en remette à Dieu !”

Si Dieu est le Créateur de tous les hommes, et il l’est forcément, ceux qui disent le connaître auront un profond respect pour chacun des hommes qu’il a créé. Ce que dit l’apôtre Jean des chrétiens est vrai de tous : Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu”, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, s’il n’aime pas son frère qu’il voit, il ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. Voici donc le commandement que le Christ nous a donné : celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère. Quiconque croit que Jésus est le Christ est enfant de Dieu; et quiconque aime un père aime aussi les enfants de celui-ci. (1Jean 4.20-5.1 BFC) C’est à leur amour qu’on reconnaît les enfants de Dieu, dit la Bible, car Dieu est amour. Ce test du juge de Lessing reste applicable. Et notre monde religieux ne réussit pas très bien à ce test.

Est-ce que cet amour nous rend tolérant du mal ou de l’erreur ?

Dieu est amour. Amour pur, brûlant d’un feu ardent et intarissable. Nous venons à la croix du Christ dans l’espoir d’y trouver le pardon, d’y trouver un Juge clément. Et nous le trouvons. Nous sortons de chez lui acquittés. Mais nous trouvons beaucoup plus. Nous y rencontrons l’Amant. Nous croyions trouver la compassion et nous avons trouvé l’Amour. Nous pensions trouver l’Amour, et c’est l’Amant qui vient à notre rencontre. Nous espérions voir s’éteindre les flammes de l’enfer et nous nous voyons pris dans le brasier de l’Amour. Nous aurions été contents de nous chauffer au feu de l’amour qui pardonne, et nous nous voyons projetés dans les flammes affamées de l’Amour qui dévore. [1]

Le vrai amour n’est pas de dire oui et amen à tout et à tous. Quand un passager monte dans le train pour Bruxelles en croyant qu’il va au Luxembourg, l’amour n’est pas de le laisser faire, mais de le rendre attentif à son erreur. S’il persiste, alors nous le laissons faire. Non pas parce que sa sincérité le fera, par miracle, arriver au Luxembourg. Mais parce que la force pour faire changer quelqu’un d’opinion n’est pas une bonne solution. C’est elle qui conduit à la tyrannie.

Il nous faudra aller un peu plus loin pour répondre à la question : Le Dieu de la Bible, est-il le Dieu des religions ?



[1] C.S.LEWIS développe tout ceci de façon remarquable dans Le problème de la souffrance, Bruges : Desclée De Brouwer, 1950, pp.67-72. Ce paragraphe est une citation de mon La tente de Dieu dans le désert des hommes.

 

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Il n’est pas fou celui qui perd ce qu’il ne peut garder, afin de gagner ce qu’il ne peut perdre. (Jim Elliot)