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Toussaint

Célébrer la Toussaint ? Célébrer la mort ? Non, bien sûr ! Pourtant, cette “fête” traditionnelle, mais totalement absente de la Bible, est importante pour beaucoup de gens, et pas seulement les fleuristes. C’est pour beaucoup un moment douloureux à se souvenir de leurs “disparus”. Des disparus sans avis de disparition. Sans retrouvailles assurées. Le plus souvent, sans recherche. Non, on ne fête ni la mort, ni les morts. On se plie à la tradition. On se souvient. Dans les meilleurs cas, on réfléchit.

Réfléchir. Voilà justement le but de ces quelques lignes. Ailleurs, vous pouvez trouver une étude sur le sujet de la mort et du deuil. Mais ici, je veux laisser la place à quelques pages dans le livre remarquable d’Alain Burnand et Maurice Ray, Demain…l’au-delà, Lausanne : Ligue pour la lecture de la Bible, 1974. Le livre est, hélas !, épuisé. On peut encore le trouver en occasion ou en bibliothèque. Ecrit il y a presque 40 ans, il n’a rien perdu de son actualité.

Permettez-moi de vous en présenter quelques pages pour stimuler la réflexion en cette saison automnale.

 

Point de croix

Jocelyne, me permets-tu de dire ce que j’ai vu, accroché au-dessus de ton lit ?

Cette phrase m’a été donnée. Inspirée.

J’avais la tâche écrasante de célébrer le culte à l’occasion de la mort d’un père de famille. Le dimanche précédent, lui, sa femme, ses enfants, avaient fui le brouillard de la plaine et s’étaient rendus au bord d’un lac de montagne. Le gel de février avait recouvert les rives d’une épaisse couche de glace : On allait patiner !

Ce fut le drame : un craquement et, avant même qu’il ait eu le temps de crier, cet homme avait disparu dans l’eau profonde.

Jocelyne avait tout vu... Serviable et dévouée, elle avait accepté de rester au bord pour promener son petit frère.

Jamais plus elle n’oublierait les séquences heurtées de ce film d’horreur: les appels affolés de sa mère aux passants interloqués; la course démentielle d’un automobiliste complaisant vers le village voi­sin... le téléphone... l’arrivée (enfin!) des sauveteurs en combinaison de plongée... les recherches interminables et le retour à la surface d’un corps inerte... les tentatives de réanimation, vaines hélas, le départ à l’hôpital voisin... le verdict sans appel.

Alors, le retour en plaine; les formalités; et cette consternation qui gagne par vagues successives les proches, les parents, les amis, les voisins, les connaissances. Ils sont tous là maintenant. Ensemble dans cette heure poignante. La contagion d’une émotion convulsive les gagne. Jocelyne aussi, dont je vois qu’elle est en train de craquer. Avant-hier aussi, elle a craqué. Tandis que sa mère me faisait le récit de leur drame, soudain elle a fui la pièce où nous nous tenions et s’est jetée sur son lit en proie à une violente crise de sanglots. Nous l’avions rejointe dans sa chambre et j’avais vu, au-dessus de la table de chevet, accrochée au mur, la pancarte porteuse de cette redoutable affirmation :

“PLUS TARD... C’EST TROP TARD !”

Saisi par cette étrange devise, j’avais demandé l’origine d’un tel écriteau. Et Jocelyne s’était arrêtée de pleurer pour m’expliquer:

“C’est maman qui me l’a fait broder pour me faire passer cette sale habitude que j’ai de répondre “oui... plus tard”, à chaque fois qu’elle me demande un service ou me rappelle un devoir à faire... Alors l’autre jour elle m’a préparé le carton... elle m’a apporté le coton à broder et je m’y suis mise... c’est du point de croix.”

- Jocelyne ! me permets-tu de dire ce que j’ai vu, accroché au-dessus de ton lit ?

Dans cette église où la foule consternée s’était rassemblée pour le culte, la petite a ravalé ses larmes. Elle a fait oui de la tête. Avec sa permission, j’ai donc raconté l’origine “ménagère” de cette bro­derie. L’assistance, interloquée, avait retrouvé quelque calme.

Suffisamment pour prêter attention à trois enseignements que cette parabole domestique me semblait contenir.

D’abord : cette brutale séparation nous signalait à tous l’urgence qu’il y a à nous aimer les uns les autres pendant qu’il en est temps. Car la mort est parfois d’une telle soudaineté que... “plus tard, c’est trop tard”.

Tragique vérité, que les cimetières, de tombe en tombe, nous brodent aussi au point de croix. Mais savons-nous déchiffrer leur message d’urgence, décoder leur consigne pressante, éviter de la sorte que le pardon, les réconciliations, les aveux, les réparations soient systéma­tiquement remis au lendemain par ces élèves insouciants que nous sommes ? A quelle dimension faut-il donc agrandir la pancarte pour que le regard myope de nos têtes dures réalise enfin les choses et, peut-être, nous sorte de notre indolence coupable ?

Ensuite : les croix de nos cimetières n’ont de sens qu’en référence à une autre croix : la croix centrale de Golgotha. Il l’avait bien compris ce jeune Olivier Giran, fusillé en 1943 par les Allemands, pour avoir, le 30 juin 1942, servi de guide à des Juifs qui tentaient de fuir en Suisse.

Au matin du 16 avril, il écrit à ses parents son dernier billet :

“Ce matin à sept heures, on est venu me dire que c’était pour neuf heures... parents adorés, à qui une terrible et dernière épreuve est donnée, pardon. Il faut bien le dire, j’espérais encore. Je suis calme, mais la mort me presse et j’ai tant à vous dire...

Réglons bien certaines choses : devant Dieu je me présente conscient et confiant. Je crois en lui (...), devant les hommes j’ai fait avec élan, joie, enthousiasme à certains moments, ce que j’ai cru de mon devoir de faire...

Je vous aime. Je vous aime. Je vous aime !

Mettez une croix sur tout ce qui a pu vous peiner, vous blesser, vous décevoir. Gardez à jamais de moi une image souriante, gaie, vivante, d’un fils qui, grâce à vous, et avec la conscience de l’amour profond qui nous unit, meurt heureux.”1

Mettez une croix... qu’est-ce que ça y changerait, si Christ n’y avait été mis, Lui, sur la croix ?...

Enfin : parmi les choses à faire sans retard... en priorité absolue des urgences à ne différer sous aucun prétexte, il faut accepter (ou, si l’on pense l’avoir accepté, vérifier que c’ait été fait en réalité), accepter ce salut.

Car il est offert, certes; proposé, oui. Mais il ne prend son efficacité qu’à dater du jour où nous en avons personnellement contresigné le décret, admis la grâce. Or, là aussi, là surtout, l’incroyable légèreté qui dit “plus tard”, prépare l’amère litanie des “trop tard”. Litanie des regrets éternels et des existences perdues sur lesquelles – quoi que puissent sculpter les menuisiers, ou polir les marbriers funéraires – le verdict de Dieu constatera l’absence du signe sauveur: ici, point de croix.

Ce que Jocelyne m’a permis de dire, elle m’autorise sans doute, implicitement à l’écrire ici. Des choses graves, rédigées pour que, les lisant, nous ayons une pensée pour elle et pour les siens, bien sûr; mais plus encore : pour que nous ayons la présence d’esprit d’assurer, sans différer davantage, ce qui sera indispensable à notre “plus tard”...

                                                                                                        1Voir: L’homme qui a sauvé Londres, George Martelli, p. 94.
                                                                                                                                                  (Burnand, Ray, pp. 69-71)

 

Tu mourras de mort

Dans les couvents, souvent,
on fait des préparations à la mort.

Nous,nous n’avons pas le temps de les faire;
mais nous sommes quand même sagement préparés.

C’est la vie qui nous prépare à mourir :
et elle connaît bien son métier.

Il suffit de l’écouter, de la voir, de la suivre (...).

Elle nous explique la mort petitement,
ou grandement selon les jours.

Quelquefois sans nous faire du tout de mal.

D’autres fois en nous disloquant de douleur.

Quelquefois en soulignant nos petites morts quotidiennes,

d’autres fois en étendant morts

ceux que nous aimons plus que nous-mêmes.

La mort, elle s’apprend quand on se peigne le matin
et que nos cheveux quittent notre tête (...);

quand, chaque année, on vient avec des fleurs
nous souhaiter notre anniversaire,

des fleurs qui ont un tout petit air de cimetière

et qui fêtent cet an de moins avant le dernier de nos ans (...).

La mort, elle s’apprend à chaque arrachement, définitif,
des bien-aimés.

Car même quand la foi et l’espérance réunies,
et même notre charité pour eux

affirment notre joie de les savoir rendus,

nous, nous restons avec notre sang qui proteste,

avec notre chair, creusée, lésée,

notre chair dont on semble avoir tué un grand morceau

et cette horreur de la terre, du noir et du froid

qui a fait pleurer même Jésus (…).

La vie, c’est notre maîtresse de mort.
Mais, à son tour, la mort nous devient maîtresse de vie,

nous qui savons la pénitence humaine (...).

Mais il s’agit de bien naître chaque fois où nous mourons,
de naître un peu quand nous mourons un peu,

et de naître beaucoup quand nous mourons beaucoup.

Il s’agit, dans cette fréquentation de la mort,

d’apprendre à fréquenter la vie.

Il s’agit de virer à l’éternel, comme les négatifs

des pellicules photographiques pour le cliché où tous les noirs

deviennent blancs (…).

Soyons assez intéressés par les “siècles des siècles”
pour que le temps de notre vie nous indiffère,

et pour que tout ce que nous aimons soit déjà transféré

dans une éternité tranquille.

Ainsi apprendrons-nous à mourir de mort,

pour vivre de vie authentique.

                                                                               Madeleine Delbrêl, La joie de croire, p. 135-137. (Burnand, Ray, p. 190)

 

Sous l’entête de : L’Evangile de Saint-Lapalisse, voici deux courts extraits :

“Aucune théologie, philosophie, religion ou cosmologie, n’est valable si elle n’essaie pas au moins de donner une réponse à la question de la mort... Ne pas prendre la mort au sérieux, c’est ne pas prendre au sérieux non plus la vie, le monde et l’ici-bas... C’est l’attitude de l’homme en face de son destin de mort qui décide, avec une valeur définitive, du sens que l’homme donne à la vie.”

                                                                                                     H. Zahrnt, Dieu ne peut pas mourir, Paris : Cerf, p. 270.

Le Bouddhisme

Comme tous les fondateurs de systèmes philosophiques ou religieux, son auteur se déclare “détenteur de la science éternellement vraie”. Son enseignement, par la vague contemporaine du yoga, connaît en Occident un regain d’intérêt, dû peut-être en partie aux avantages immédiats qu’il offre en prime à ses adeptes : santé, équilibre psychique, contrôle de soi-même, relaxation, etc. Mais il y a plus ! Les multiples croyances, sectes, sociétés, groupes spirituels ou religieux, nés de l’enseignement de Bouddha, ont ceci de commun qu’ils opposent à la cruauté de la mort les affirmations d’une philosophie apaisante niant le caractère absolu de l’échéance dernière. En effet, dans la mesure où son côté définitif se trouve contesté, la mort cesse d’être le summum de l’épouvante. Elle existe toujours, certes, mais elle est détrônée.

Selon un système astucieusement échafaudé, la paroi abrupte de la mort se trouve fractionnée en paliers d’autant plus rassurants qu’ils offrent un remède à notre vertige. La mort n’est plus qu’une étape sur le chemin de l’affranchissement du mal. Grâce à elle, l’homme est engagé dans une série de renaissances spiri­tuelles au terme desquelles, s’il le veut, il parviendra à l’état d’un repos éternellement heureux appelé le nirvana.

Cette croyance à la métempsychose offre à l’imagination de fertiles possibilités avec, en plus, l’avantage d’une explication du mal et de la mort. En effet, là encore l’âme est immortelle et ceux qui s’ef­fraieraient d’avoir à mourir y trouvent quelque apaisement. De ce fait, la vie terrestre perd de son importance au bénéfice du cycle prometteur dans lequel elle est engagée. Y aurait-il échec par négli­gence ou mauvaise volonté, l’individu retombe à un stade inférieur dans l’ordre des créatures. Au contraire, par la purification des pratiques de vertu et de piété, il connaît sur cette terre, puis au gré de ses réincarnations successives, une sphère d’activités de plus en plus exaltantes dans l’attente de celle à laquelle il accédera dans d’autres mondes et dans d’autres vies.

Il n’y a rien à objecter à cette croyance imaginaire. Rien sinon qu’elle est imaginaire.

Ainsi, qu’il soit platonicien, marxiste1, scientiste, bouddhiste ou mâtiné de Bouddhisme, le seul support effectif de l’idéa­lisme est la foi de celui qui s’y adonne. Celle d’un marxiste est aussi aveugle, sourde, insensible aux objections que celle d’un bonze. Et pour cause ! Elle ne saurait être contredite par la réalité puisque celle-ci n’est que l’approximation passagère d’un idéal absolu, souverain, intemporel, imaginaire, donc incontrô­lable.

On nous répliquera que l’Evangile ne l’est pas moins ! Cette objection se fonde sur une mauvaise information. Car l’Evangile se réclame de faits vérifiables dans l’Histoire, celle du peuple juif, puis celle de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. …

 

1Une fois pour toutes, Marx croyait avoir réglé le compte des idéalistes en disant de la religion qu’elle est l’opium du peuple. Outre que c’était une critique essentiellement démagogique, Marx et ses disciples semblent ne pas avoir réalisé que le matérialisme athée se révèle, à l’examen, appartenir lui aussi à la famille des opiacées. Ne tombe-t-il pas sous le coup de la même accusation, ce système qui veut convaincre l’individu d’avoir à se consoler du mal et de la mort par la croyance (sic) en l’éternité de l’HOMME ou de l’Espèce humaine, au pire, en l’Eternité de la Matière ? Au siècle de la Fission de l’atome et des arsenaux y relatifs, c’est, en effet, on ne peut plus prometteur et consolant...

                                                                                                                                    (Burnand, Ray, p. 39,41,42)

 

Anecdote

Ni curé, ni pasteur...

C’était son refrain, au père Jean.

Et l’on s’y était habitué : depuis le temps qu’il bougonnait cet anti-credo, qu’il en ponctuait ses soliloques de rogne et de grogne, plus personne n’y prêtait grande attention.

Dans la petite ville du Tarn où il habitait, les gens se répartissaient d’inégale manière en trois confessions : les catholiques, les protestants, et – de loin les plus nombreux – les sans confession.

Malgré son prénom évangélique et le fait qu’on l’appelait le “père” Jean, le héros de cette anecdote pratiquait un œcuménisme négatif, mais strictement égalitaire : “ni curé, ni pasteur à mon enterrement”.

On le savait dans sa famille où il faisait régner un despotisme rudimentaire. On le savait au bistrot, sanctuaire de ses dévotions quotidiennes au dieu pastis. On le savait à la Mairie où, républicain râleur, il honorait à sa manière la liberté en maugréant contre les inégalités auxquelles le manque de fraternité des nantis condamnait les bougres de son espèce... “et avec la bénédiction des Eglises... c’est du propre ! en tous cas : ni curé, ni pasteur à mon enterrement”.

Mais ce qu’on ne savait, ni dans sa famille, ni à la Mairie, ni même au bistrot où l’alcool met parfois les gens en veine de confidences... ce qu’on ne savait pas (et qu’ignoraient également le curé et le pasteur), c’est QUI il voulait à son enterrement, le père Jean.

Or, il mourut brusquement, un samedi matin, d’accident, sans avoir pu le préciser à qui que ce fût.

L’après-midi, une discrète ambassade se rendit successivement auprès du pasteur et – il l’apprit plus tard – auprès du curé. Des membres de la famille souhaitaient qu’il y ait au moins une prière. “On ne peut pas l’enterrer comme un chien.” Sans s’être le moins du monde consultés, les deux ecclésiastiques déclinèrent l’offre autant que la demande. Le père Jean avait été suffisamment précis sa vie durant sur ce chapitre. Ces démarches d’après dernière heure n’eurent aucun résultat.

Pourtant le pasteur dit : “Je passerai dire notre sympathie à votre mère”. Malheureux, ça allait l’entraîner plus loin qu’il n’eût pensé.

La désolation familiale était pitoyable : “Pensez, mon bon Monsieur, comme s’il ne nous avait pas déjà bien fait souffrir pendant sa vie... ce sera pire par sa mort; la honte est sur nous...”

- Mais, à défaut de prêtre ou de pasteur, quelqu’un  pourrait dire quelques mots...

- Ah oui, ça c’est une idée et puisque vous l’offrez, feriez-vous les démarches ?

- Eh bien, c’est-à-dire que...

- Oh vous êtes si bon d’accepter...

Plus moyen de reculer. Question de disponibilité, disent les cours de théologie pratique.

Résumons les démarches, par ordre de refus d’entrer en scène.

Le Maire. En l’absence de tout organisme spécialisé de pompes funèbres, ce magistrat municipal, garant des vertus républicaines, n’aurait-il pas fait l’office ? Mais le Maire – conservateur ! – déclina fermement cette offre : “Ça ne s’est jamais fait, je ne suis pas là pour créer des précédents... non, non et non”.

Alors... l’adjoint au Maire ?

Mais l’adjoint au Maire étant catholique, il ne pouvait être question de lui faire prendre la parole dans un enterrement laïque pour lequel le curé s’était récusé. De plus, détail insignifiant du point de vue électoral, mais considérable en fonction des traditions locales, l’adjoint au Maire était de sexe féminin.

Le père Jean était travailleur d’usine. Que le directeur de cet établissement – pivot de l’économie locale – prenne la parole...

Seulement le père Jean était décédé d’un accident survenu un samedi pendant qu’il travaillait pour un “client à lui”, et il devenait difficile de rendre un hommage professionnel qui eût laissé implicitement reconnaître que les salaires de l’usine X étaient insuffisants...

Alors, pourquoi pas l’un des responsables syndicaux ?

Parce qu’il y en avait deux... celui de la CGT et celui de la CFDT. Et que le père Jean, après avoir refusé de payer ses cotisations à la CFDT s’était brouillé avec la CGT... si bien que le secrétaire d’un des syndicats renvoya le pasteur à l’autre et vice versa.

La politique !...

La famille crut à une expression de dépit. Mais non. C’était l’idée suivante : demander à un homme politique de se charger de l’allocution. On approchait des élections des conseils généraux et, sans nul doute, tel candidat eût volontiers mis à profit cette occasion de prononcer un discours de plus que ses adversaires...

Mais justement, le clan “bourgeois” de la famille se serait opposé à ce que l’on demandât à un politicien de gauche... avec une intransigeance au moins égale à celle que n’aurait pas manqué de révéler le clan “gauche” de la famille si la parole eût été proposée à un candidat de droite... C’était sans issue.

Funérailles !

Le pasteur commençait à comprendre comment ce substantif avait pu passer dans le langage avec les couleurs d’une interjection consternée.

“Mais enfin, il doit bien y avoir quelqu’un... Je vais de ce pas à la gendarmerie...”

La démarche n’avait, au départ, d’autre but que de passer en revue le répertoire complet des “personnalités” locales susceptibles de convenir. Pourtant, chemin faisant, le pasteur se dit qu’après tout la gendarmerie, officielle, nationale et assermentée, offrait non seulement le prestige d’un uniforme mais que, par surcroît, la petite ville possédait une mini-caserne dont le chef venait d’être promu adjudant. Des gens qui ont le sens du devoir pourraient, mieux que quiconque, donner à ce devoir-ci un sens.

Hélas ! le très léger bégaiement de l’adjudant qui, sa carrière durant, l’avait incité à abréger ses ordres (et ça l’avait fait apprécier dans la hiérarchie et craindre du public, d’où sa rapide promotion), ce très léger bégaiement se manifestait au-delà des huit ou dix premières syllabes. “Vous, là-bas...”, “Pas de discussion...”, “Faites-moi rapport...”, “J’veux pas l’savoir...” Ça sortait sans bavure. Mais la réponse qu’il fit au pasteur, invoquant les autorisations à solliciter en haut-lieu, vu le caractère tout à fait particulier de cette mission... cette réponse, donc, fut si probante, de par ce fameux bégaiement, qu’il valut mieux, en effet, ne pas insister.

Ni curé, ni pasteur... c’est vite dit. La preuve par neuf étant faite, mieux valait renoncer et s’en tenir strictement aux volontés du père Jean.

Mais le temps avait travaillé contre le pasteur. Quelle imprudence d’avoir dit : “On trouvera bien quelqu’un !”

Fort de cette “promesse”, les gens de la famille avaient déjà fait imprimer sur tous les faire-part : “Dans le cadre d’obsèques civiles, une personnalité locale rendra hommage au défunt”.

Rien ne stimule une population comme le mystère. Il y eut foule au cimetière. Longtemps avant l’arrivée du convoi, les gens avaient pris place. Non que le père Jean fût “unanimement regretté”, comme on dit... mais la piqûre de la curiosité avait démesurément enflé les effectifs. Les spécialistes des cancans locaux, les milieux généralement bien informés prenaient l’air supérieur et confidentiel qui convient pour chuchoter à leur voisin qu’ils savaient, eux, qui allait parler.

- Ah oui ? Qui donc ?

- Vous verrez bien ! Dans un instant... Moi, j’ai promis de ne rien dire.

Eh bien ce fut le pasteur.

Mais le pasteur doublement “civilisé”. Dans ce premier sens qu’il vint “en civil”, sans robe ni rabat; et qu’il vint à titre strictement civil, comme il le précisa fermement en s’approchant de la fosse au fond de laquelle les croque-morts venaient de faire descendre le cercueil.

“Strictement civil...” Parfois l’homme du Verbe s’abrite ainsi derrière l’adverbe. Ça suppose tout un climat d’ambiguïtés, une ambiance équi­voque, le risque d’être compris de travers. Il serait aisé d’être simples comme des colombes, s’il ne fallait aussi être prudents comme des serpents.

Son allocution fut brève.

En peu de phrases, il dit ce que tout le monde savait : “Le père Jean n’a voulu ni curé, ni pasteur à son enterrement. La famille a pourtant désiré que quelqu’un lui rende un dernier hommage et qu’il ne soit pas conduit au cimetière comme une bête. Or, personne n’a cru devoir ou pouvoir assumer ce service. J’avais promis de trouver quelqu’un... je n’ai trouvé personne. Je vais donc moi-même lui rendre hommage.

Et j’ai décidé de rendre hommage à son honnêteté. Ayant choisi de vivre sa vie à sa guise et selon ses idées à lui, ayant notamment choisi de la vivre d’une manière laïque, il a dit plus de cent fois “ni curé, ni pasteur à mon enterrement”. Je respecte cette honnêteté et je ne parle pas ici comme pasteur. Honneur aux gens honnêtes !

Mais à vous, venus étonnamment nombreux, j’ai à dire ceci :

“L’exemple du père Jean nous pose la question de notre honnêteté. Et si nous nous apprêtions à vivre sans curé, ni pasteur, pour qu’à l’heure de notre mort, en contradiction avec ce que nous avons manifesté, nous fassions venir en toute hâte curé ou pasteur pour nous garantir des obsèques religieuses, si nous croyions ainsi, par une mort “chrétienne” compenser une vie païenne, oserions-nous prétendre mériter l’hommage dû aux gens honnêtes ? Moi, je ne le crois pas et je puis vous dire qu’il m’arrive souvent d’être moins à l’aise pour présider officiellement certaines cérémonies funéraires de circonstance, à certains cultes de commande, que je ne le suis maintenant pour rendre loyalement hommage à l’honnêteté du père Jean.

Peut-être est-ce le plus grand service que nous ait rendu à tous cet homme, si toutefois nous voulons bien, rentrés chez nous, nous poser honnêtement la question... J’ai dit.”

Le croira-t-on ?

Cet enterrement fut le point de départ d’un réveil. Oh... cela valut à l’homme de Dieu des rancunes durables, mais ça fait partie du tarif.

De plus, il ne faut pas croire que tout le monde se convertit. Mais beaucoup se mirent à se poser des vraies questions : non plus sur la vie et la mort... sur LEUR vie et sur LEUR mort.

                                                                                                                                (Burnand, Ray, pp. 147-151)

 

Enfin, voici quelques notes télégraphiques du message de Toussaint 2008 :

La moisson viendra
1Corinthiens 15.35-58

La mort est le dernier ennemi, 1Cor 15.25,26. Cet ennemi n'est pas encore détruit, mais il est déjà vaincu, Ap 1.18.Pourtant, la peur subsiste, Héb 2.14,15. Elle ne disparaît que par la foi en Jésus-Christ.

Deux questions importantes :
Si je meurs aujourd’hui, où serai-je demain ?
Si je vis demain, pour qui, pour quoi vaudra-t-il la peine de vivre ?
Quelques éléments de réponse à l’aide de ce texte de la première lettre de Paul aux Corinthiens.

1. Une moisson incroyable                 :35-38
Venez avec moi dans un champ. On sème du blé. Du bon grain est semé et meurt. Est-ce un gâchis ? Ne vaut-il pas mieux manger son grain aujourd’hui, et verra qui vivra ? Voici une des lois fondamentales de la vie : ce qui est né doit mourir afin de renaître. Jn 12.24. Ce sera la même vie, mais dans un corps nouveau.

Et si je vis sans m’en soucier ? 1Th 4.13 me dit être alors sans espérance. Tout est poussière et retournera à la poussière. Toute activité humaine finit par décevoir. Alors, quelle raison de vivre ? La Bible m’annonce une moisson incroyable.

2. Un corps imprévisible                    :39-50
La vie humaine est une vie corporelle. Nous ne serons pas des esprits désincarnés : la Bible annonce la résurrection de tous. Qu’est-ce que Paul veut dire ?

Il y aura désintégration, :50. Ce ne sera pas un retour à un vieux corps, comme Lazare. Pas une ressuscitation, mais une résurrection. Ce ne sera pas non plus une migration vers un autre corps semblable (= réincarnation).

Il y aura continuité. Cf. Jésus : Il était le même et pourtant différent, Jn 21.12. Un corps imprévisible, incomparable, affranchi des limitations typiquement terrestres, mais ce sera le même ‘nous’, :49.

Il y aura dépassement, :42-44. Ni pessimisme (il n’y aura pas de moisson…), ni matérialisme (= manger son blé), ni spiritisme (= déterrer la semence).

3. Une logique immuable                    :51-58
La certitude de la moisson transforme cette vie sur terre en préparation. “Nous porterons …” :49. Cela se prépare ici bas.

Oui, mais personne n’a vu lamoisson ! Faux ! On a vu les prémices (= premiers fruits), :20, dans la résurrection de Christ, et Dieu ne donnera pas d’autre preuve.

Devant la certitude de la victoire complète sur la mort, nous sommes poussés à une conclusion logique, :58 - Etre ferme (ne pas  laisser saper notre foi), être zélé (ne pas vivre une vie chrétienne à moitié, 2Cor 5.14,15) et être assuré (ce ne sera pas en vain que de s’investir pour le Christ).

Jn 5.24-29 : Quelle moisson préparons-nous ?

   
 

Il n’est pas fou celui qui perd ce qu’il ne peut garder, afin de gagner ce qu’il ne peut perdre. (Jim Elliot)