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Israël : Dieu est-il sioniste ?
Israël
continue à être un sujet à contradiction, tant dans le monde politique que dans
notre petit monde chrétien. C’est un peuple et un pays soumis à des exigences
que l’on n’impose à aucun autre peuple ou pays. Il est très régulièrement
l’objet des arrêts de l’ONU, et cela infiniment plus qu’aucune autre nation. La
moindre action qu’elle entreprend vis-à-vis de ses voisins est scrutée,
analysée, commentée et critiquée. Ailleurs, on peut tuer quasi impunément (ainsi,
entre 1955 et 1972, le régime musulman de Khartoum a assassiné plus
de 1,5 million de chrétiens.
Entre 1983 et 2005, 2 millions
de plus ont subi le même sort. Et au moins 100 000 enfants ont été emmenés au Nord pour devenir les esclaves
des Musulmans, alors que 7 millions de
Soudanais ont fui dans des camps de réfugiés), mais qu’Israël réagisse
aux provocations de ses voisins et c’est une tempête médiatique qui se
déclenche. Deux poids, deux mesures. Etonnant ? Ou pas tant que ça ?
Dans
notre monde chrétien, Israël soulève aussi des contradictions. Une certaine
théologie a cru pouvoir remplacer le peuple d’Israël par l’Eglise
(laquelle … ?) et transvaser toutes les prophéties concernant
l’avenir d’Israël à l’Eglise. Dans l’ensemble, le résultat a été un désintéressement
presque total, tant d’Israël que de la prophétie biblique, voire une haine
contre ce peuple. La Shoa a été un des fruits amers d’une telle théologie, mais
l’histoire européenne a été fréquemment marquée par des horreurs semblables,
fussent-elles à moindre échelle.
Le
monde évangélique a toujours été connu pour son soutien à Israël, fondé sur la
conviction que les prophéties bibliques réservent un destin futur à Israël dans
le plan de Dieu. Le Dispensationalisme a eu un grand retentissement parmi les
Evangéliques et a beaucoup contribué à l’intérêt et à l’amour pour le peuple de
Dieu. Mais le rejet plus récent du Dispensationalisme et de certaines de ses
conclusions extrêmes a conduit à une nouvelle approche de la prophétie et du
rôle d’Israël. Le retour vers l’Amillénarisme ouvre parfois le flanc à l’antisionisme
qui en a souvent été le corollaire et qui est un peu trop fréquemment un
euphémisme pour le vieil antisémitisme toujours bien vivant dans le substrat
européen. Il n’est peut-être pas inutile de citer le pasteur Martin Luther King
à ce sujet : “Lorsque les gens critiquent les Sionistes, ils pensent aux
Juifs, et on parle d’antisémitisme.”[1]
Le
livre Israël – Palestine : quelle
coexistence ? Un point de vue évangélique inédit, de la plume des pasteurs
suisses Guy Gentizon et
Jean-Jacques Meylan (Dossiers
VIVRE 31, Editions Je Sème, Genève 2010) relève de cette nouvelle approche. Les
auteurs présentent en quatre chapitres un autre point de vue d’Israël. Il
provient de leur acceptation pratiquement sans critique des conclusions des
“nouveaux historiens” israéliens. Ils donnent beaucoup d’extraits d’un certain
nombre de livres inconnus dans notre monde évangélique, notamment des auteurs
suivants : Charles
Enderlin, Ilan Greilsammer, Benny Morris, Ilan Pappé et Shlomo Sand. Un
dernier chapitre rapporte les idées du rabbin Yakov M. Rabkin qui ne fait pas partie des “nouveaux
historiens”.[2]
Nous devons être reconnaissants aux
auteurs de nous faire découvrir cette école d’histoire moderne. Nous sommes
amoureux de la vérité et nous voulons que nos convictions profondes reflètent
la vérité. Il est donc utile d’être contredit afin de vérifier l’exactitude
d’opinions en partie fondées sur la Bible, et en partie sur l’histoire ou notre
compréhension de l’histoire.
Voici donc une discussion de ce
livre. N’ayant pas pu lire les livres cités, je me limiterai nécessairement à
ce qu’en citent les auteurs. J’y ajouterai les fruits de ma recherche sur
internet concernant les auteurs cités. Les renvois au livre sont mis entre
parenthèses.
Les quatre chapitres du livre sont
les suivants : 1. Israël-Palestine : un parcours historique pour
essayer de comprendre… et d’aimer. 2. Israël entre histoire, Bible et
théologie. 3. Origines et identité du peuple juif. 4. Christianisme, judaïsme
et Israël. Seul le chapitre deux est de la main de Guy Gentizon. Je commencerai
mon analyse avec le chapitre trois.
1. Qui
est Juif ?
La
question est capitale, et la réponse que propose Jean-Jacques Meylan est
affolante. En lieu et place de la vieille doctrine de la substitution d’Israël
par l’Eglise, il propose la réponse proprement incroyable de Shlomo Sand :
ce sont les Palestiniens actuels qui sont la vraie continuation du peuple Juif
du premier siècle. On mesure la distance parcourue !
Dès le
début de ce chapitre trois du livre, Jean-Jacques
Meylan fait preuve d’une approche biblique très moderne. Ce qui est vrai
est déterminé par des sources extérieures à la Bible : l’Exode au XIIIe
siècle (en dépit de 1Rois 6.1), des stèles du VIIIe siècle attestent
l’existence d’une dynastie royale davidique. Israël n’entre dans l’histoire “au
sens académique du terme” que quand des documents extérieurs à l’Ancien
Testament l’attestent. La constitution du Pentateuque daterait seulement du
temps de Josias. Tout cela témoigne davantage d’une approche libérale
qu’évangélique.
La clé
de l’argumentation de Sand, cité par Jean-Jacques
Meylan sans aucun soupçon de critique, est que les Romains n’ont jamais
expulsé les Juifs de la Judée, ni en 70 AD, ni plus tard, en 135 lors de la
révolte de Bar Kochba.[3] Les
Juifs ashkénazes (ceux d’Europe du nord, parlant le Yiddish) seraient en fait
des descendants des Khazars de la région du Volga, convertis au Judaïsme au IXe
siècle de notre ère. Les Juifs sépharades (en Afrique du nord) seraient les
descendants de Berbères convertis au Judaïsme au VIIIe siècle de
notre ère. De cela, il résulterait que le mot Juif n’a plus aucune connotation
ethnique : “Il n’y a pas de
continuité ethnique, raciale ou nationale entre les Bnei Israël [les fils
d’Israël] et les Juifs du XXIe
siècle. … Ce constat met tout simplement en échec la prétention pour un
peuple de retrouver « sa terre ».” (141)
Dans un article du Monde diplomatique, au titre provocateur Déconstruction d’une histoire mythique, Comment
fut inventé le peuple juif,[4]
chacun peut lire les thèses de Shlomo Sand, historien du XXe siècle.
En voici un court extrait :
La Bible peut-elle être considérée comme un
livre d’histoire ? Les premiers historiens juifs modernes, comme Isaak
Markus Jost ou Leopold Zunz, dans la première moitié du XIXe siècle,
ne la percevaient pas ainsi : à leurs yeux, l’Ancien Testament se
présentait comme un livre de théologie constitutif des communautés religieuses
juives après la destruction du premier temple. Il a fallu attendre la seconde
moitié du même siècle pour trouver des historiens, en premier lieu Heinrich
Graetz, porteurs d’une vision « nationale » de la Bible : ils
ont transformé le départ d’Abraham pour Canaan, la sortie d’Egypte ou encore le
royaume unifié de David et Salomon en récits d’un passé authentiquement
national. Les historiens sionistes n’ont cessé, depuis, de réitérer ces
« vérités bibliques », devenues nourriture quotidienne de l’éducation
nationale.
Mais voilà qu’au cours des années 1980 la
terre tremble, ébranlant ces mythes fondateurs. Les découvertes de la
« nouvelle archéologie » contredisent la possibilité d’un grand exode
au XIIIe siècle avant notre ère. De même, Moïse n’a pas pu faire
sortir les Hébreux d’Egypte et les conduire vers la « terre promise »
pour la bonne raison qu’à l’époque celle-ci... était aux mains des Egyptiens.
On ne trouve d’ailleurs aucune trace d’une révolte d’esclaves dans l’empire des
pharaons, ni d’une conquête rapide du pays de Canaan par un élément étranger.
Il n’existe pas non plus de signe ou de
souvenir du somptueux royaume de David et de Salomon. Les découvertes de la
décennie écoulée montrent l’existence, à l’époque, de deux petits
royaumes : Israël, le plus puissant, et Juda, la future Judée. Les habitants
de cette dernière ne subirent pas non plus d’exil au VIe siècle
avant notre ère : seules ses élites politiques et intellectuelles durent
s’installer à Babylone. De cette rencontre décisive avec les cultes perses
naîtra le monothéisme juif.
L’exil de l’an 70 de notre ère a-t-il,
lui, effectivement eu lieu ? Paradoxalement, cet « événement
fondateur » dans l’histoire des Juifs, d’où la diaspora tire son origine,
n’a pas donné lieu au moindre ouvrage de recherche. Et pour une raison bien
prosaïque : les Romains n’ont jamais exilé de peuple sur tout le flanc
oriental de la Méditerranée. A l’exception des prisonniers réduits en
esclavage, les habitants de Judée continuèrent de vivre sur leurs terres, même
après la destruction du second temple.[5]
[…]
Ecrire une histoire juive nouvelle,
par-delà le prisme sioniste, n’est donc pas chose aisée. La lumière qui s’y
brise se transforme en couleurs ethnocentristes appuyées. Or les Juifs ont
toujours formé des communautés religieuses constituées, le plus souvent par conversion,
dans diverses régions du monde : elles ne représentent donc pas un
« ethnos » porteur d’une même origine unique et qui se serait déplacé
au fil d’une errance de vingt siècles.
Dans une interview publiée par Verbatim en mai 2008,[6]
il dit entre autres :
« Le paradigme suprême de l’envoi en exil
était nécessaire pour que se construise une mémoire à long terme, dans laquelle
un peuple-race imaginaire et exilé est posé en continuité directe du
« Peuple du Livre » qui l’a précédé », dit Sand; sous l’influence
d’autres historiens qui se sont penchés, ces dernières années, sur la question
de l’Exil, il déclare que l’exil du peuple juif est, à l’origine, un mythe
chrétien, qui décrivait l’exil comme une punition divine frappant les Juifs
pour le péché d’avoir repoussé le message chrétien. « Je me suis mis à chercher
des livres étudiant l’envoi en exil—événement fondateur dans l’Histoire juive,
presque comme le génocide; mais à mon grand étonnement, j’ai découvert qu’il
n’y avait pas de littérature à ce sujet. La raison en est que personne n’a
exilé un peuple de cette terre. Les Romains n’ont pas déporté de peuples et ils
n’auraient pas pu le faire même s’ils l’avaient voulu. Ils n’avaient ni trains
ni camions pour déporter des populations entières. Pareille logistique n’a pas
existé avant le 20e siècle. C’est de là, en fait, qu’est parti tout
le livre : de la compréhension que la société judéenne n’a été ni dispersée ni
exilée. »
Les thèses de Sand ont été sérieusement contestées. Wikipedia s’en
fait l’écho[7] : “D’autres historiens ou politologues s’opposent aux théories
de Shlomo Sand : Simon
Schama, Nicolas Weill, Mireille Hadas-Lebel ou Pierre-André
Taguieff, entre autres. Ils lui reprochent principalement de méconnaître aussi
bien l’histoire du peuple juif que l’historiographie contemporaine en Israël.
Selon ces auteurs, l’ouvrage de Sand contiendrait de graves erreurs
historiques, dues au fait que Sand n’est pas spécialiste des sujets qu’il y
aborde. Pour Taguieff, par exemple, le livre de Shlomo Sand vise simplement à
nier la réalité historique du peuple juif et, de ce fait, à tenter de justifier
la disparition de l’Etat d’Israël.
Shlomo Sand, qui
ne prétend pas être un spécialiste de l’histoire juive, considère plutôt s’appuyer
sur des connaissances historiques oubliées ou ignorées du grand public.”
Wikipedia y
ajoute cette remarque de Sand : “Dans une interview donnée au quotidien
marocain, L’Economiste, il
déclare aussi : « Il était plus logique de créer un Etat juif en
Europe. Les Palestiniens n’étaient pas coupables de ce que les Européens ont
fait. Si quelqu’un avait dû payer le prix de la tragédie, ça aurait dû être les
Européens, et évidemment les Allemands ».”
Le professeur Eric Marty a écrit un
article dans Le Monde du 28-03-09 contre les thèses de Sand.[8] Il y écrit
notamment :
“Sand présente le fait qu’il n’y a pas de
race juive comme une découverte qui fait du peuple juif une invention
historique. Mais ce faisant, il confond deux catégories étrangères l’une à
l’autre, celle de "race" et celle de "peuple". La tradition
d’Israël n’est pas une tradition raciale comme la Bible l’atteste (l’épouse non
juive de Moïse, Séphora, Ruth, l’étrangère, ancêtre du roi David), tradition
perpétuée par l’actuel Israël, comme tout visiteur peut le constater en admirant
dans le peuple juif son extraordinaire pluralité : juifs noirs, jaunes, blancs,
orientaux, blonds, bruns... La substitution race/peuple est révélée par le
titre : Comment le peuple juif fut
inventé... Or tout le livre consiste à vouloir
prouver que les juifs actuels ne sont pas "génétiquement" les
descendants des Hébreux.
On dira que le peuple
juif n’a jamais cessé d’être "inventé" : par Abraham, par Jacob, par
Moïse... Mais aussi par chaque juif. Car l’invention même du peuple juif, loin
d’être une preuve de son inexistence, est une preuve radicale – irréfutable –
de la singularité radicale de son existence propre. Existence fondée sur le
principe abrahamique de son invention ou de sa vocation, puisque cette
existence est réponse à un appel.
[…]
… s’il dénie aux juifs
une aspiration, qu’ils n’ont jamais eue comme peuple, à se constituer en race,
il ne déconstruit pas la notion de race. Au contraire, il lui confère, à
dessein ou non, un statut de vérité qui se donne comme vérité ultime. En effet,
la conclusion, proprement perverse, de son livre est d’attribuer au peuple
palestinien ce qui a été dénié aux juifs, à savoir qu’ils sont – eux, les
Palestiniens – les vrais descendants génétiques des Hébreux originaires !
Cet épilogue est le
révélateur de la finalité du livre. On y trouve le principe mythologique de
l’inversion dont le peuple juif est la victime coutumière : les juifs
deviennent des non-juifs et les Palestiniens les juifs génétiques. On peut, dès
lors, en déduire qui est l’occupant légitime du pays. En ne déconstruisant pas
radicalement la notion d’héritage génétique, en en faisant, au contraire,
bénéficier le peuple palestinien, Sand révèle tout l’impensé qui obscurément
pourrit ce qu’il tient pour être une entreprise libératrice. Il montre que la
méthode substitutive qu’il emploie est tout simplement mystificatrice, et ce
d’autant plus qu’elle voudrait être au service de l’entente entre les ennemis.”
Manifestement, les ennemis du peuple juif ne se méprennent jamais sur la
question : Qui est Juif ? Eux ont un sixième sens pour détecter qui
est Juif. Malheureusement, à Jean-Jacques
Meylan, pasteur évangélique, ce sixième sens, qui aurait dû être aiguisé
par cette lecture et cette compréhension biblique qui a toujours été propre aux
Evangéliques, fait singulièrement défaut. Accepter sans aucune critique une
telle destruction de la Bible est dramatique.
Peut-être plus qu’ailleurs dans le livre, nous voyons dans ce
troisième chapitre comment nos auteurs pratiquent l’herméneutique : ils
semblent avoir opté pour une approche critique de la Bible et une approche
respectueuse des auteurs modernes. Il eut été préférable, et plus digne d’un
croyant, de procéder en sens inverse.
Cela aurait peut-être aidé ce pasteur à lire correctement des
textes prophétiques comme Osée 8.8 : Oui,
Israël a été dévoré. Le voici, désormais, au milieu des nations, comme un objet
indésirable.
Ou Osée 9.3,17 : Ils n’habiteront
plus dans le pays de l’Eternel. Ephraïm reprendra le chemin de l’Egypte et ils
devront manger des aliments impurs en Assyrie. … Dieu les rejettera, car ils ne
l’ont pas écouté, et ils seront errants au milieu des nations.
Que
cet exil ne se limite pas au peuple des dix tribus du nord, mais aussi à Juda
et au peuple tout entier au-delà du temps de Jésus est attesté par Ezéchiel qui
en décrit le retour en ces termes : Voici
ce que déclare le Seigneur, l’Eternel : Je vais prendre les Israélites du
milieu des nations où ils sont allés, je les rassemblerai de tous les pays
alentours, je les ramènerai dans leur pays, et je ferai d’eux une seule nation
dans le pays, sur les montagnes d’Israël. Un roi unique régnera sur eux tous,
ils ne formeront plus deux nations et ne seront plus divisés en deux royaumes.
Ils ne se rendront plus impurs par le culte rendu à leurs idoles et à leurs
divinités abominables, et par toutes leurs transgressions. Je les tirerai de
tous leurs lieux d’habitation où ils ont péché, et je les purifierai; ils
seront mon peuple et je serai leur Dieu. (Ez 37.21-23 Semeur)
Manifestement,
le retour sous Zorobabel n’a pas accompli cette prophétie. Le prophète Zacharie
qui a vécu ce retour écrit (10.8-10, NBS) : Je sifflerai pour les rassembler, car je les libère, et ils se
multiplieront comme ils se multipliaient. Je les sèmerai parmi les peuples, et
au loin ils se souviendront de moi; ils vivront, eux et leurs fils, et ils
reviendront. Je les ramènerai d’Egypte et je les rassemblerai de l’Assyrie; je
les ferai venir au Galaad et au Liban, et l’espace ne leur suffira pas. Notez
bien, ce n’est pas le retour dont le prophète avait été lui-même le témoin,
mais un autre retour qui doit donc avoir lieu après une autre dispersion,
annoncée par les paroles : “Je les sèmerai parmi les peuples”. Ce texte ne
peut donc pas être appliqué à l’Eglise née avant cette dispersion.
Plus loin, il voit Jérusalem assiégée et devenir une coupe
d’étourdissement pour tous les peuples d’alentour, 12.2,3, une pierre lourde à
soulever pour tous les peuples. Non seulement cela ne s’appliquait pas à son époque,
mais cela ne s’est appliqué à aucune époque jusqu’aux temps modernes. Faut-il
donc y voir une image de la persécution de l’Eglise, la nouvelle
Jérusalem ? Ou faut-il savoir patienter et attendre que les futurs
accomplissements se fassent de la même manière que les premiers accomplissements ?
Qui peut vraiment nier que nous vivons enfin un retour généralisé du peuple
Juif au pays de la Bible ? La résurrection nationale de ce peuple qui
paraissait totalement impossible il y a seulement une génération s’accomplit
devant nos yeux. Nous vivons à l’époque où cette ville, insignifiante il y a
encore très peu de temps, est en train de devenir “la lourde pierre” de tous les
peuples.
Il
faut résister à la tentation de tout spiritualiser et ainsi de voler Israël de
l’héritage promis. Le fait que le peuple soit sous le jugement de Dieu ne
change rien à sa place dans son plan. Dale Ralph Davis écrit ceci concernant
David dans son commentaire sur 2 Samuel 16[9] : “David est en même
temps sous l’élection de Yahweh et sous le jugement de Yahweh. Cependant, il
demeure le serviteur établi par Yahweh. Le mépriser, s’opposer à lui et le
trahir revient à mépriser, s’opposer à et trahir le Dieu qui l’a établi.” Ces paroles
ne sont-elles pas tout autant à appliquer au peuple d’Israël dans sa totalité ?
Qui est Juif ?
Le Nouveau Testament dépossède-t-il
les Juifs de leur identité et donc de leur héritage ? Ce ne semble
justement pas ce que fait Paul en Romains 11. Jean-Jacques Meylan s’y réfère courtement après la citation de
textes comme Rom 2.28,29 : Le Juif,
ce n’est pas celui qui en a les apparences; et la circoncision, ce n’est pas
celle qui est apparente dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est
intérieurement; et la circoncision, c’est celle du cœur, selon l’esprit et non
selon la lettre. La louange de ce Juif ne vient pas des hommes, mais de Dieu.
Paul est-il en train de redéfinir les limites du peuple juif ? Opère-t-il
une redéfinition ethnique ? Il n’en est rien. Il ne fait que rappeler
qu’un Juif qui ne marche pas dans la foi d’Abraham est une contradiction
ambulante. Sa Judéité ne le sert de rien. Paul prie donc pour leur conversion,
Rom 10.1 et annonce le revers dans leur destin en 11.25-27 lorsque le Messie
reviendra. Or, en prenant à la lettre ce qu’écrit Jean-Jacques Meylan dans ce chapitre, il faudrait appliquer
tout cela à d’autres. Peut-être aux Palestiniens. Peut-être à l’Eglise. Tout ce
qu’il fait est se référer au livre du père François Refoulé, Et ainsi tout Israël sera sauvé (Lectio
divina 117, Paris, Cerf, 1984), pour qui “tout Israël” correspond au “reste” de
Rom 9.27. C’est un peu maigre.
Avant
de quitter ce chapitre fondamental, il n’est peut-être pas inutile de soulever
cette autre question identitaire, non soulevée par Jean-Jacques Meylan : Qui se cache derrière le peuple
palestinien ? Le peuple juif comme il le suggère en suivant Sand ? La
Samarie était habitée par les Samaritains au temps de la destruction de
Jérusalem. Parmi eux, un nombre important avait reçu Jésus le Messie comme
Seigneur et Sauveur. Ils sont certainement restés dans le pays lors des grands
soulèvements de 70 et de 135. Leurs descendants y habitent encore en toute
probabilité, même s’il est raisonnable de penser que des Arabes sont aussi
venus habiter dans ce qui va devenir la Palestine.[10] Curieux nom d’ailleurs.
Il rappelle les habitants originaux de la bande de Gaza, les Philistins. Eux
aussi sont probablement restés en place au-delà de l’islamisation du pays. Leur
haine actuelle traduit étonnamment bien la haine ancestrale de ce peuple au
temps de l’Ancien Testament. Quant aux racines ethniques du peuple arabe, il
faudra non seulement parler d’Ismaël et de Madian, fils d’Abraham, mais aussi
d’Amalek, Gen 14.7 et Ex 17.8-16.[11] Qu’Amalek ait survécu à
la guerre avec Saül en 1 Sam 15 est démontré par Haman, l’Agaguite en Est
3.1. Est-il possible que dans le peuple arabe il y a tantôt en trait dominant
l’héritage d’Ismaël, et tantôt celui d’Amalek ? A cela, il faudra sans
doute ajouter des origines ammonites, moabites et édomites. Autrement dit,
quand on veut entreprendre un travail historique sur la survivance d’anciens
peuples, il eut été honnête de ne pas se focaliser sur le seul peuple Juif.
Il
n’y a pas de peuple racialement pur. Israël ne l’est pas, et la Bible ne le
prétend pas. Les Palestiniens ne le sont pas, les Arabes ne le sont pas. Et
nous ne le sommes pas. Mais là n’est pas la question.
2. Interpréter la prophétie
Guy Gentizon entre dans le détail de la question de
l’interprétation des prophéties. On comprend aisément l’importance des enjeux.
Faut-il favoriser une école d’interprétation ? Sans trancher de manière
franche, l’auteur s’en prend assez clairement à l’approche dispensationaliste.[12] Dans le
choix entre une interprétation symbolisante, allégorique, d’une part, et
littérale-historicisante d’autre part, il est suffisamment clair que l’auteur
préfère la première.[13]
Dans l’ensemble, son traitement de l’Apocalypse consiste en une
répétition de généralités sans vraie réflexion. Ainsi, affirmer que la plupart
des nombres de ce livre ont une valeur symbolique est totalement gratuit.
Appliquer cela particulièrement aux mentions de durée est ruineux. Suggérer que
Jean s’est inspiré de Joel 2 pour écrire Apocalypse 9 est sans doute très
populaire, mais se trouve contredit par Jean lui-même. Ce n’est pas ainsi qu’il
a écrit son livre ! Proposer que “Harmaguédon est le symbole de toutes les
batailles où le Seigneur intervient avec puissance pour mettre en déroute les
ennemis et secourir son peuple au cours des siècles” (92) est une jolie
application (enseignée ailleurs avec bien plus de clarté !), mais ne peut
guère satisfaire comme exégèse sérieuse. Ce genre d’approche de l’Apocalypse
réduit le livre à quelques leçons spirituelles très gentilles, et sans doute
vraies !, mais donne raison à la majorité des Chrétiens qui n’y
comprennent plus rien et finissent par fermer le dernier livre de la Bible.
Est-ce qu’Israël peut prétendre à retrouver son pays, sa terre d’origine ?
Guy Gentizon cite en note l’opinion d’Emile Shoufani, prêtre melkite et arabe
israélien : “L’idée d’une Terre sainte entendue comme un territoire défini
va à l’encontre de l’absolu divin” (101) et rappelle l’opinion de la plupart
des rabbins avant la création de l’état d’Israël, opposés à un état qui ne
serait pas l’œuvre direct du Messie.[14] La
ville de Jérusalem dans la prophétie, est-elle réellement la ville
actuelle ? On sent bien que l’auteur préfère penser à la Jérusalem d’en
haut. Y a-t-il vraiment place pour un nouveau temple ? Ce temple, n’est-il
pas le Christ, ou le cœur du croyant ? Ainsi, sans vraie étude de textes,
l’auteur sous-entend que l’accomplissement des prophéties se limite
essentiellement à la venue du Christ et la création de l’Eglise. Une fois de
plus, et sans le dire en toutes lettres, il montre son acception de
l’amillénarisme comme grille d’interprétation, même s’il semble se mettre au-dessus de la mêlée lorsqu’il présente les
différents courants d’interprétation ou lorsqu’il résume les points de vue sur
Romains 11.
En sous-entendu, on sent parfois pointer la critique que certains
Evangéliques sont inconséquents dans leur interprétation, puisqu’ils ne
prennent jamais tout au pied de la
lettre. Il cite la chaîne d’Apocalypse 20.1 qui n’est pas à prendre au sens
littéral. Mais ce genre de soupçons n’est guère limité à un groupe de lecteurs.
Ainsi, l’auteur maintient que les limites de la terre promise ont été atteintes
lors du règne de David et de Salomon, et qu’on ne doit donc pas les prendre au
sens littéral pour aujourd’hui. Mais que faire de Ps 89.26 ? Faut-il
limiter ce texte aux seuls David et Salomon, quand le contexte insiste
justement sur le caractère éternel de ces choses, 89.30 ? Personne ne peut
systématiquement manier une interprétation symbolique ou littérale. Et il n’est
vraiment pas possible d’évacuer le sens littéral de certains textes comme
Zacharie 14.2-4, qui implique manifestement un rôle futur pour la Jérusalem
terrestre. Même la construction d’un temple, comme en Ezéchiel 40-48 ne peut
pas être traitée de manière symbolique sans plus. Cela est davantage l’effet
d’une théologie préconçue que d’une exégèse prudente du texte ![15]
En fait, ce chapitre sur l’interprétation des prophéties est assez
décevant par sa manière de ne se prononcer réellement sur aucune question tout
en semant le doute sur les opinions jusqu’il y a peu assez répandues dans le
monde évangélique. Jean-Jacques Meylan poussera
les choses un peu plus loin avec sa critique beaucoup plus franche du
dispensationalisme (147-153).
C’est plus qu’intéressant de considérer la place de ce chapitre
dans l’ensemble du livre. Peut-on dire que les opinions incroyables du chapitre
trois deviennent possibles justement parce qu’il y a une interprétation
défaillante de l’essentiel des prophéties qui concernent la fin de l’âge et que
les auteurs se partagent ? Quand on considère où mène la faiblesse de
l’approche—pas de choix clair, mais doute entretenu sur toute lecture
“littérale”, ou, peut-être plus justement, un choix d’interprétation symbolique
sous-entendue mais atténuée dans les conclusions—on devrait pour le moins
devenir très critique devant l’attraction moderne pour les thèses de
l’amillénarisme comme si tout théologien qui se respecte devrait chercher dans
cette direction. Il est troublant que ses conclusions qui semblent si
équilibrées ne l’aient pas amené au discernement des opinions proférées par son
collègue dans le chapitre suivant.
Est-il possible que, sans doute comme beaucoup d’autres, il ait
été obnubilé par son opposition aux idées dispensationalistes (les siennes
avant ? ou celles des autres et très dominantes à une certaine époque),
mais qu’il n’ait pas pris assez de recul pour voir que ce qu’il mettait à la
place était encore pire ? Y a-t-il une sorte de complexe d’Œdipe
évangélique qui vise à tuer le père pour tomber dans les bras de la mère ?[16] On peut
se le demander.
3. Sionisme contre
messianisme ?
Dans le dernier chapitre, Jean-Jacques
Meylan laisse la parole à Yakov M. Rabkin, un rabbin du Canada opposé au
Sionisme. Pour lui, le Sionisme est une négation des valeurs centrales du
Judaïsme.[17] On s’imagine sans peine
la popularité de ses vues dans le monde arabe !
Rabkin cite par exemple le rabbin Sonnenfeld : “… Dieu nous a
exilés à cause de nos péchés, et l’exil sert d’hôpital au peuple juif. Il n’est
pas concevable que nous prenions le contrôle de notre terre avant d’être
complètement guéris. Dieu nous garde et nous protège, et II nous administre des
épreuves ‘médicamentées’, parfaitement dosées et mesurées. Nous sommes sûrs qu’une
fois la guérison de nos péchés complétée, Dieu ne tardera pas un moment, et
nous délivrera lui-même. Comment nous hâterions-nous de sortir de l’hôpital
face à un danger de mort, un danger mondial qui planerait sur nous tous, à Dieu
ne plaise !” (159,160, cité par Meylan)
Jean-Jacques Meylan continue (160) : “Les principaux griefs
des haredim contre le sionisme sont les suivants : dans le sionisme, l’homme a
usurpé une prérogative messianique. Le concept de «Terre d’Israël» ne se trouve
pas dans le Pentateuque qui se réfère à la «Terre de Canaan» ou «Terre des
Hébreux».[18] L’identité du peuple juif
n’est pas liée à un territoire. L’espoir messianique doit rester intact, libre
de tout compromis jusqu’à l’arrivée du Messie. Le retour à la terre d’Israël,
réalisé par des moyens politiques et militaires, ne correspond pas au projet de
salut propre à la tradition juive. C’est le Messie lui-même qui doit réaliser
les conditions de ce retour”.
Le retour au pays d’Israël sera réalisé “par l’effet universel de
bonnes œuvres plutôt que celui de la force militaire ou de la diplomatie”, cite
encore Watzal.
On peut avoir de la sympathie pour ces vues, résumées ici à
l’extrême, où on détecte une foi juive profonde. Après tout, nous aussi, nous
attendons le Messie qui remettra tout en ordre. En même temps, on reste un peu
sur sa fin. “Le bourreau—qu’il soit le Pharaon, Amalek ou Hitler—ne peut être
autre chose qu’un agent de la punition divine, un moyen sans doute cruel pour
amener les Juifs à la repentance.” (Rabkin in Watzal) Si, comme il est dit,
cette repentance aura pour résultat la venue du Messie, qu’est-ce qui arrête le
peuple de se repentir ? On est parfois lassé des discussions interminables
autour de la Torah et du Talmud. N’y a-t-il pas des retours qui préparent la
repentance ? Lorsque le peuple pouvait enfin revenir dans la terre promise
sous Cyrus le Perse, pourquoi tant de Juifs sont-ils restés à Babylone ?
Pourtant, ce retour politique était bien dans le plan de Dieu ! Y a-t-il
une vertu dans la dispersion ? N’est-elle pas un jugement qui prendra fin
à l’heure de Dieu ? Et qui peut vraiment affirmer que ce n’est pas ce qui
s’observe dans le retour actuel ? Mais sera-t-il réalisé par les bonnes œuvres ? Etonnamment,
Jean-Jacques Meylan prend une idée semblable à son compte un peu plus loin,
page 163 : “Le seul sens, le sens ultime de l’élection d’Israël, est
d’inverser la dynamique du péché par la promotion de la paix pour l’ensemble du
Moyen-Orient.”
L’état d’Israël est un état laïc. Notre amitié pour Israël ne peut
cacher le caractère profondément séculier de cet état. Nous sommes des amis,
mais des amis attristés quand nous apprenons que le taux d’avortement n’est pas
différent en Israël que dans le reste du monde occidental. Nous sommes
perplexes qu’un état comme Israël puisse permettre l’organisation d’une
gay-pride à Jérusalem. N’ont-ils donc rien appris ? Faut-il que le
jugement redescende sur ce peuple qui a déjà tant souffert ? La réponse
biblique me semble devoir être oui. Le prophète Daniel semble bien annoncer
dans sa vision énigmatique des 70 semaines qu’un ennemi à venir fera alliance
avec le peuple revenu dans sa terre, dans sa ville sainte, avant de se tourner
contre lui, ce que confirme Zacharie 14.
Le fait que ce retour politique, apparemment sans Dieu, risque de
déclencher “une catastrophe de proportions mondiales” (Rabkin in Watzal) ne
veut pas dire que ce retour est donc illégitime. Il semble bien que Dieu ramène
le peuple par une main puissante, même si elle est cachée dans le gant du
Sionisme politique. Dieu ramène l’histoire à Sion. D’ailleurs, comment
Jérusalem peut-elle devenir cette pierre lourde pour tous les peuples s’il n’y
a pas ce retour ? Pendant des siècles, elle a été un coin perdu du monde,
délaissé par tous, y compris par le monde musulman (ce que nos auteurs oublient
de mentionner). Or, voici que la prophétie s’accomplit devant nos yeux. Voir
cela, reconnaître cela ne veut pas dire que ce peuple agit donc selon Dieu. Le
cœur du roi, y compris le gouvernement israélien, “est comme un cours d’eau
entre les mains de l’Eternel : il le dirige à son gré.” (Proverbes 21.1)
Nous ne sommes pas amis d’Israël à cause de ce que fait Israël.
Nous sommes ses amis à cause de ce que Dieu fait. Nous sommes amis parce que
“c’est à eux qu’appartiennent la condition de fils adoptifs de Dieu, la
manifestation glorieuse de la présence divine, les alliances, le don de la Loi,
le culte et les promesses; à eux les patriarches ! Et c’est d’eux qu’est
issu le Christ dans son humanité; il est aussi au-dessus de tout, Dieu béni
pour toujours. Amen !” (Romains 9.4-5) Nous sommes amis d’Israël, même de
cet Israël ignorant, coupablement ignorant de Dieu, “à cause des pères”, Romains
11.28.
Il ne nous est pas possible de nous inscrire dans le dessein, plus
humaniste qu’autre chose, de Jean-Jacques
Meylan quand il veut faire d’Israël un signe de réconciliation.
“Ainsi, Israël reste un
signe, non pas par ses conquêtes militaires et son emprise politique sur un
territoire, mais par sa capacité à signifier le message divin; un signe qui
interpelle les hommes et les nations sur la question cruciale de la coexistence
et de la justice. Un signe qui témoigne de ce qui est au centre de la théologie
biblique de l’Ancien comme du Nouveau Testament : unifier, rassembler,
réconcilier. Pour l’instant, le Proche-Orient vit exactement l’inverse. Il est
sous le signe de la division, littéralement de la «diabolisation». Israël,
comme signe d’unité et de réconciliation, n’est visible que dans les marges,
auprès d’une minorité de personnes. C’est en espérance que nous attendons sa
pleine manifestation.” (163)
“L’élection d’Israël
sera ainsi porteuse de bénédiction pour l’ensemble de la région et, par là,
pour le monde entier. Or une bénédiction est toujours l’expression d’un don,
d’un geste de grâce, d’une générosité réciproque. Elle ne résulte jamais d’une
appropriation économique ou militaire en vue d’une possession exclusive de la
terre. Dieu a promis à Israël la grâce de sa présence et non pas l’appropriation
violente de la terre. La vision biblique finale de l’histoire est une vision de
fraternité universelle, comme le souligne le dernier livre de la Bible : «Et
j’entendis, venant du trône, une voix forte qui disait : Voici la demeure de
Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera
le Dieu qui est avec eux» (Ap 21.3).
Certes l’histoire
biblique d’Israël est marquée par des conflits et des guerres incessantes.
Abraham a chassé Ismaël son aîné. Il a éloigné tous ses fils cadets pour
qu’Isaac reste seul sur «la terre promise». Jacob et Esaü ont refusé de
cohabiter sur le même territoire. La tribu de Juda a été souvent en guerre
contre les autres tribus du Royaume du Nord… sans parler des guerres contre les
ennemis extérieurs. Or Dieu est un Dieu de miséricorde, de paix, de
réconciliation et de justice. Tel est son projet. Dans les temps particuliers
que nous vivons, notre seul défi est de contribuer, autant que possible, à ce
projet de réconciliation, là où tant d’hommes développent des gestes de
fracture et d’exclusion.” (164)
On peut se demander quelle est la Bible de ce pasteur. C’est
justement ce “Dieu de miséricorde” qui demande à Abraham de chasser son fils
Ismaël ! Le centre du message biblique n’est pas ce qui est proposé
ici : unifier, rassembler. La croix crée la division avant d’unifier.
L’Evangile sépare avant de rassembler. Demander à Israël d’agir en Chrétien est
une confusion totale des genres. Qui sommes-nous d’ailleurs à lui demander tout
cela, nous, héritiers d’un passé fait de persécutions, de croisades et de
pogroms ? On pourrait y ajouter la mémoire très sélective des banquiers de
la Suisse très protestante de nos auteurs, qui ont depuis si longtemps ignoré
les héritiers des biens juifs déposés dans leurs coffres. La critique des
auteurs contre Israël n’est que la énième manifestation d’un mal qu’un ancien
président de la Fédération Protestante de France avait bien défini quand il
écrit : “... le mystère d’Israël est
inséparable du mystère de l’Eglise, il est notre mystère. Le mystère de notre
péché et le mystère de notre grâce. Objets de la même révélation, de la même
vocation, appelés au même jugement, promis au même Royaume, nous ne serons pas
sauvés, au dernier jour, les uns sans les autres... La question juive est la
question des questions. A la
manière dont ils parlent des Juifs, on peut juger sûrement de la valeur spirituelle d’un homme, d’une Eglise,
d’un peuple, d’une civilisation. L’antisémitisme est, pour l’Eglise, la
plus grave méconnaissance du Christ, le plus secret refus de la foi, la plus
insidieuse perversion de l’Evangile de l’Incarnation.” (Charles Westphal, tiré des Cahiers d’études juives) Sous
un autre ciel politique, Dietrich Bonhœffer le résumait ainsi : “Celui qui ne crie pas en faveur des Juifs ne peut louer Dieu”.
Qu’on le veuille ou non, l’histoire d’Israël, et celle du Royaume
de Dieu, est une histoire violente. L’Ancien Testament est caractérisé par
cela. L’Apocalypse le décrit, bien longtemps avant d’en venir à la vision
pastorale de 21.3 cité plus haut. Israël n’est pas l’Eglise de la Nouvelle
alliance. Et l’opposition de l’ennemi au plan de Dieu ne sera pas résolue par
le projet que Jean-Jacques Meylan met
dans la bouche de Dieu et qui se résumerait au suicide d’Israël pendant que nos
pasteurs tissent des couronnes de pâquerettes. Dieu n’est pas là pour
“promouvoir une utopie”, mais il conduira le temps et les nations au retour
victorieux de son Fils qui vaincra ses ennemis.
Presque tout est dit … sauf que je n’ai encore rien dit du
chapitre le plus long du livre !
4. Le Sionisme contre
Dieu ?
Ce long chapitre est un reflet des “nouveaux historiens”[19] de
l’histoire du Sionisme récent. Il n’est peut-être pas inutile de préciser un
certain nombre de choses avant d’aller plus loin.
Benny Morris, l’historien le plus cité, a fait partiellement
volte-face depuis. Sylvain Cypel écrit dans Le Monde du 29 mai 2002[20] :
“Rejette-t-il aujourd’hui ses anciens écrits ? « Non : une moitié
des Palestiniens ont bien été expulsés. Mais il n’y avait pas de plan préconçu.
Ce fut le résultat d’une guerre qu’ils ont eux-mêmes déclenchée. Eux et les
pays arabes sont donc les vrais responsables. … »”
Charles Enderlin est le correspondant de France2 en Israël qui a soulevé
l’affaire de l’enfant Mohamed Al-Durah dont il attribuait le meurtre aux
Israéliens. Un examen approfondi a prouvé ces propos erronés. L’affaire est
devant les tribunaux en France.
Ilan Pappé était membre
du parti communiste israélien en 2002. C’est un des plus virulents des
critiques de l’état d’Israël et il a quitté le pays pour aller travailler en
Angleterre. Il est en faveur du boycott d’Israël proposé par le monde
universitaire britannique et croit qu’Israël a procédé à une épuration
ethnique. Voici ce que dit de lui un ancien collègue[21] :
“Ancien collègue d’Ilan Pappé, Yoav Gelber est un de ses plus virulents
critiques.
En ce qui concerne les liens qu’Ilan Pappé
établit entre le « négationnisme de la Shoah » et le
« négationnisme de la Nakba », Yoav Gelber voit en lui « le plus
extrémiste de ceux qui établissent un lien entre le destin des Palestiniens et
la Shoah. » Il justifie son point de vue notamment par le fait qu’Ilan
Pappé fait abstraction du conflit judéo-arabe précédant 1948, de l’opposition
arabe au sionisme par la violence, des massacres perpétrés sur les juifs non
sionistes d’Hébron et de Safed en 1929 et du fait que ce sont les Arabes
palestiniens et la Ligue arabe qui ont déclenché la guerre de 1948. Il lui
reproche également sa thèse sur le fait qu’« une épuration ethnique »
aurait été planifiée par les Juifs et par l’affirmation selon laquelle tant les
Palestiniens que les Juifs sont des victimes de la Shoah d’Europe basée sur une
comparaison déséquilibrée entre les crimes nazis et les « quelques
atrocités perpétrées par les deux côtés au cours de combats réciproques ».
Il conclut en affirmant que « [c]e faisant [Pappé] est très proche du
négationnisme de la Shoah. »”
Un autre nouvel historien, Ilan
Greilsammer, écrit ceci de Pappé[22] :
“Des personnalités antisionistes comme
Michel Warchawski ou Ilan Pappé n’ont strictement aucune audience en Israël, même
pas chez les Palestiniens, qui savent parfaitement ce qu’ils représentent dans
la réalité israélienne.”
Les “nouveaux historiens” donnent de
l’histoire récente d’Israël une image très différente de ce que l’état d’Israël
a toujours raconté. Il est bien sûr assez difficile de voir où est la vérité.
Mais le récit officiel souffre sans doute de pas mal de lacunes et d’épisodes
qu’on préfère ne pas raconter. Nous l’avons déjà dit, l’état d’Israël, dès ses
débuts, est un état laïc. Des horreurs ont été commises, des vérités ont été
tordues ou inventées et les guerres ont été sales, comme toutes les guerres.
Mais la description qu’en fait Jean-Jacques Meylan souffre d’une cécité partielle
au moins aussi grave. Sur le blog de la Fédération romande d’Eglises
Evangéliques,[23]
dans laquelle Jean-Jacques Meylan et Guy Gentizon sont pasteurs, un long
article a été posté d’un certain PN que je viens de découvrir en commençant ce
dernier chapitre de mon article. Il est extrêmement bien fait et il entre dans
plusieurs détails de déséquilibre flagrant dans le récit de Jean-Jacques
Meylan. Je n’y reviendrai donc pas ici.
La contestation du droit international d’Israël a été analysée,
entre autres, par Michel Gurfinkiel dans l’article repris dans la note
suivante.[24] Il arrive à la conclusion
que l’établissement et l’extension d’Israël correspondent au droit
international.
Il est regrettable que nos deux pasteurs aient manqué complètement
de discernement pour lire leurs sources avec un œil critique. Leur manière de
prendre à leur compte les affirmations les plus extrêmes ne donne pas une grande crédibilité à leur
texte. Leur désir d’être à côté des Chrétiens Juifs et Palestiniens est admirable. Leur incapacité de voir la persécution de ces
derniers par leur propre peuple est dommageable. L’amour et la vérité ne doivent-elles pas se rencontrer (Ps 85.11; 89.15) ?
Le Sionisme agit-il contre Dieu ? Faut-il donc le condamner
dans les termes sévères qu’utilisent les auteurs ? Il sera évident que
Dieu n’est pas Juif. Il n’est pas Arabe. Il n’est pas Palestinien. Il n’est
même pas Chrétien. Dieu est Dieu. Même nos meilleurs efforts sont entachés de
notre imperfection, et souvent de notre péché. Israël est certainement très
loin d’être un instrument pur entre les mains de Dieu. Et tout mal perpétré
contre les hommes par des hommes viendra en jugement, à l’exception de ce qui a
été confessé comme tel, pardonné au nom de Jésus et réparé dans la mesure du
possible, que ce mal ait été commis par des Israéliens, des Palestiniens ou qui
que ce soit d’autre.
Mais Dieu est Sioniste. Il reste fidèle à son alliance conclue
avec Abraham, Isaac et Jacob et il veille sur sa parole. Le peuple d’Israël
joue un rôle clé dans ce plan, ce qui lui a valu une histoire douloureuse
jusqu’à aujourd’hui. Cette histoire est celle des hommes. Mais elle est aussi
l’histoire dans laquelle Dieu se manifeste et agit pour tout résumer en Christ.
Il reviendra à Sion et la rétablira.
L’amour de nos pasteurs pour les Chrétiens palestiniens est juste.
Travailler en tant que Chrétien pour plus de justice est excellent. Mais
l’œuvre de Dieu se fait selon ses méthodes. S’allier à des ennemis d’Israël (de
Dieu ?) n’en fait pas partie. Proposer un angélisme humaniste pour établir
la paix et la justice revient à se méprendre foncièrement sur la réalité de la
révolte contre Dieu et son Messie. Nous n’allons pas vers plus de paix et
d’entente, mais vers plus de haine et de guerre jusqu’à ce que revienne le
Seigneur. L’Eglise sera un des objets de prédilection de cette haine. Mais
Israël aura aussi et encore sa part de souffrance dans ce conflit des âges.
Sa repentance n’a pas été provoquée par le retour vers Sion. Bien
au contraire. Elle ne viendra pas non plus par l’hypothétique développement
d’un Etat multicommunautaire.[25] Elle
n’est ni suscitée par l’amour de certains Chrétiens, ni par le négationnisme
d’autres. Elle ne sera l’œuvre ni des rabbins, ni de l’ONU. Elle sera le
résultat du retour du Messie, comme l’annoncent les prophètes.
Alors, tout
Israël sera sauvé.
Alors, Sion
brillera de la justice et de la gloire de Dieu.
Alors,
Israël aura enfin atteint son destin.
Alors, une
vraie coexistence entre les peuples ennemis se dessinera.
Alors, “il
adviendra que la montagne sur laquelle est le Temple de l’Eternel sera
fermement établie au-dessus des montagnes, elle s’élèvera par-dessus toutes les
hauteurs, et toutes les nations y afflueront. Oui, des peuples nombreux
viendront et se diront les uns aux autres : Venez, montons au mont de
l’Eternel, au Temple du Dieu de Jacob. Il nous enseignera les voies qu’il a
prescrites, nous suivrons ses sentiers. Car de Sion viendra la Loi, et de
Jérusalem la Parole de l’Eternel.”
Alors, “il
sera l’arbitre des peuples. Oui, il sera le juge de nombreuses nations.”
Alors, “martelant
leurs épées, ils forgeront des socs pour leurs charrues, et, de leurs lances,
ils feront des faucilles. Plus aucune nation ne brandira l’épée contre une
autre nation, et l’on n’apprendra plus la guerre.”
Alors, on
entendra : “Descendants de Jacob, venez donc et marchons à la lumière de
l’Eternel.” (Esaïe 2.2-5)
Egbert Egberts
Août 2010
[2] Voici les titres des livres en question : Charles Enderlin, Les
années perdues, Paris: Fayard, 2006; Ilan Greilsammer,
La nouvelle histoire d'Israël, Paris: Gallimard, 1998; Benny Morris, Victimes, Histoire
revisitée du conflit arabo-sioniste, Bruxelles: Complexe, 1999; Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la
Palestine, Paris: Fayard, 2006; Ilan Pappé,
Une terre pour deux peuples, Paris: Fayard, 2004; Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut
inventé, Paris: Fayard, 2008; Yakov M. Rabkin,
Au nom de la Torah, Qq: Presses Univ. Laval, 2005-3.
[24] Les droits
d’Israël sur Jérusalem-Est et la Cisjordanie (écrit le 30 août 2009)
A l’origine, il y a le Mandat de la Société des Nations (SDN).
La Grande-Bretagne s’est emparée du Levant, jusque là possession turque, en
1917-1918. La SDN valide sa présence au Levant-Sud – la Palestine – en 1923.
Moyennant, ainsi que le stipulent les articles II, IV, VI, VII, XI, XXII,
XXIII, de cette décision, l’engagement d’y créer un Foyer national juif, et d’y
assurer une immigration juive massive.
En 1947, l’Onu, qui a succédé à la SDN, partage la
Palestine en trois : un Etat juif en trois enclaves reliées par des corridors,
un Etat arabe et une zone internationale à Jérusalem. Les Juifs de Palestine
acceptent. Si les Arabes avaient fait de même, le Moyen-Orient n’aurait pas
connu onze guerres. Mais les droits dont les Juifs disposaient dans l’ensemble
de la Palestine mandataire auraient été limités au seul Etat juif.
Les Arabes refusent. Or la
nature d’un traité est d’être exécuté. S’il ne l’est pas, par suite du retrait
ou de la défaillance de l’une des parties concernées, la situation juridique
antérieure, statu quo ante, est reconduite. Par
conséquent, comme le note dans un télégramme au Quai d’Orsay un diplomate
français alors en poste à Jérusalem, les dispositions du Mandat de 1923, à commencer par
le Foyer national juif, restent toujours en vigueur sur l’ensemble du
territoire palestinien.
Le nouvel Etat juif, Israël, gagne la guerre. Là
où il était désormais établi, le Mandat est juridiquement « accompli ». Dans
les autres parties de la Palestine, les dispositions de 1923 sont mises en
sommeil, mais nullement abolies. En 1967, la conquête israélienne leur rend
leur actualité, ainsi que le notent des juristes de premier plan : l’Américain
Eugene Rostow, ancien doyen de la faculté de droit de Yale, et ancien
sous-secrétaire d’Etat sous l’administration Johnson, ou l’Australien Julius
Stone, l’un des plus grands experts en droit international du XXe siècle.
Israël n’est pas un « occupant », mais un souverain légitime. Il peut
implanter des habitations juives dans les zones conquises. Il le doit.
Les pays où le droit joue un rôle dans le débat
politique, notamment les Etats-Unis, savent bien qu’il en est ainsi. C’est
pourquoi le Congrès américain a pu voter en 1995, sous l’administration
Clinton, une loi enjoignant l’installation de l’ambassade américaine en Israël
à Jérusalem. Le Département d’Etat a contré l’opération à travers une
argumentation pragmatique, en faisant valoir que ce transfert était «
politiquement inopportun ». Mais il s’est gardé, à l’époque, d’entrer dans un
débat juridique, qu’il n’aurait pas gagné. (Extrait) http://www.israel-diaspora.info/kiosque.php.
On lira avec profit la Déclaration de Willowbank sur la relation entre l’Evangile et le peuple Juif. Elle se trouve ici.
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